Mission laïque française

Un partage des cultures au service de l’éducation

Inaugurer des centres de développement professionnel pour l’éducation, c’est d’abord interroger la substitution, au terme usuel de « formation », d’une expression qui pourrait donner le sentiment que l’on cède à une mode, ou un caprice d’originalité, alors que le développement professionnel correspond pour la Mlf à une vision de l’école, singulièrement hors de France.

Situation de la formation dans l’éducation

Le concept de formation consiste dans notre monde de l’éducation à faire entrer dans une forme institutionnellement établie (le référentiel métier) des profils individuels peu à peu déterminés par leur formation initiale, leur recrutement (concours ou entretien), leur motivation.

éducation - formation - développement professionnel

Processus d’acculturation, la formation est aussi un rite de passage, une initiation, permettant de passer d’un état civil à une identité professionnelle estampillée, de personne à personnel d’éducation.

Devenue formation tout au long de la vie, elle vise l’entretien de connaissances institutionnelles, pédagogiques, culturelles aussi, l’institution gardant ainsi le lien, voire son emprise sur « ses » personnels, lesquels en retour sont présumés assurer, par l’investissement fait par l’institution sur leurs compétences, à la fois la cohérence et la continuité de la qualité de l’école.

Le processus de formation n’est jamais neutre : il relève à la fois d’un objectif « qualité » explicite, relatif à la mission, et d’un objectif politique implicite, au sens où l’institution s’assure de la convenance entre les compétences professionnelles et le projet qu’elle poursuit.

Dans le domaine public, la formation entre dans la relation contractuelle entre le salarié et l’institution qui l’emploie ; elle crée des devoirs des uns aux autres, mais au fil des temps le droit du travail a fait pencher plutôt du côté des obligations de l’employeur le « droit » à la formation.

C’est que d’une part, le lien n’est pas clairement établi entre la formation et les effets que l’on en attend ; elle est, il est vrai, difficilement évaluable et traçable dans les performances des élèves (qu’est-ce qu’un bon professeur ?), d’autant que les instruments de l’évaluation et l’évaluation elle-même ne font qu’entrer timidement dans le pilotage de l’établissement scolaire en France. A plus forte raison, le lien entre formation et résultats fait-il partie des territoires à découvrir. Cela est d’autant plus vrai que l’on reste dans une relation de chacun avec soi-même, de type volontaire et libéral, la plupart du temps sans analyse de la relation entre un projet collectif et les compétences qui devraient aller avec.

Enfin, dans nos systèmes scolaires publics, un personnel recruté l’est pour la vie, ce qui relativise sérieusement le rôle de la compétence pédagogique, pourtant vitale pour un système scolaire.

La procédure de l’homologation en est un exemple : elle borne son contrôle à la fréquentation des plans de formation proposés par l’EFE et à la somme provisionnée pour la formation par les établissements sur leurs produits.

éducation - covid

Il aura fallu la pandémie de COVID pour que quelque chose bouge car on a compris qu’un établissement ne pouvait s’adapter à ces circonstances exceptionnelles que par une stratégie concertée autour des modalités de la transmission. Ceux qui ne l’ont pas compris en ont pâti aux yeux de leurs publics qui ne se laissent pas prendre au miroir des alouettes des mots, ils veulent des actes.

Comme les effets de l’investissement en formation restent indéterminés dans les apprentissages, sa place fluctue au gré des moyens mobilisables, et dans les systèmes publics, on observe, par rapport aux grosses entreprises, un sous-financement chronique de ce poste de dépense. De ce fait, la formation est plus un leitmotiv obligé de la qualité de l’éducation, évidemment utile, qu’elle n’en est un élément déterminant, mesurable, entrant dans un débat objectif sur la qualité de l’école au sein de la communauté éducative.

A l’étranger, l’école est une entreprise 

L’école française à l’étranger présente des caractéristiques spécifiques : elle est payée par un public qui a un droit de regard direct, et de toute façon un jugement sur le fonctionnement de l’école et sur les résultats ; elle est responsable d’elle-même, de son organisation, de sa propre réputation ; elle développe un projet pédagogique qui est « homologué » mais qui présente d’autres caractéristiques que les seuls objectifs institutionnels « français ».

Parler d’entreprise scolaire ne devrait pas être un tabou, mais une façon de regarder en face un micro-système qui, de moins en moins dépendant des ressources étatiques, est établi sur des bases différentes de celles du système public, et même des établissements privés nationaux. Quelles sont ces spécificités ?

ministère de l'éducation nationale france

D’abord, les personnels détachés y sont en nombre décroissant, tandis que croît en proportion inverse la part des personnels nationaux et régionaux.

Créer une culture professionnelle commune est donc un impératif catégorique, sur un principe consubstantiel aux valeurs de l’enseignement : égalité, solidarité et partage des compétences. L’histoire et les conditions de fonctionnement de l’EFE font de l’égalité un horizon, puisque les rémunérations relèvent de deux droits différents. On ne peut douter que développement professionnel, entendu dans l’une de ses finalités comme une montée en compétences certifiées de chacun au service d’un projet collectif fera bouger les lignes.

Construire un collectif responsable et éthiquement solidaire et responsable, tel est le but. Chacun doit prendre conscience qu’un établissement scolaire est dans sa finalité, son fonctionnement, sa réputation, une organisation de coopération entre des individus au service d’un projet collectif.

Ensuite, ce qui s’appelle dans le système français projet d’établissement s’apparente à l’étranger à une culture d’établissement, destinée à corriger le relatif isolement de ce dernier par la construction d’un savoir-faire propre.

Il s’agit pour les personnels d’avoir d’abord une vision aussi objective que possible de leurs propres compétences et de celles que l’on attend d’eux; ensuite de se doter ensemble des outils permettant de s’adapter à une mission qui évolue dans le temps, dans l’espace social et en fonction de l’offre éducative locale et mondiale.

C’est que les représentations des compétences doivent être questionnées en fonction des sociétés dans lesquelles on se trouve, des impératifs juridiques et programmatiques locaux, de la préparation de l’avenir post-bac des élèves, de l’approche renouvelée des apprentissages par la recherche ; et les modes de transmission bougent encore plus : depuis un an bientôt, du fait de la pandémie, une révolution se déroule sous nos yeux, elle exerce de fortes contraintes mais elle ouvre des perspectives étonnantes sur la relation à l’élève, la responsabilisation dans les apprentissages de ce dernier, des parents pour les plus petits, la production et l’évaluation des élèves, celle des enseignants par ces derniers. Pour la première fois, tout cela a crûment mis à jour les différences entre établissements. De façon générale, le développement professionnel est la réponse qu’ont à construire les établissements pour adapter les compétences à l’environnement à partir de l’analyse qu’ils font de ses spécificités et de ses évolutions.

Ensuite, les attentes des parents se situent par rapport aux promesses qui leur ont été faites, en n’oubliant pas que c’est sur cette base qu’ils sont là et qu’ils pourraient être très bien ailleurs. C’est le public qui fait l’établissement autant que l’inverse ; souvent mal compris par les collègues enseignants, notamment détachés, ce constat ne signifie pas que l’on obéit servilement à ce public, qui ne demande pas cela ; cela signifie que le public attend tout simplement que l’on fasse ce qu’on lui a promis de faire, et ce pourquoi donc il est là, paie, compare et finalement apprécie l’établissement qu’il a choisi.

A l’étranger, le pilotage de l’établissement par les résultats est la règle ; cela devrait être le cas partout. Les mécontents ont tôt fait de le faire savoir : ils protestent ou ils s’en vont sans mot dire.

Les parents sont des acteurs de l’éducation ; ils ne sont à craindre que lorsque l’on refuse un regard familier aux côtés de l’école, mais ce serait fuir la réalité : co-éducateurs, co-évaluateurs de l’enseignement, payeurs et acteurs respectables et responsables, eux aussi doivent être formés à leur rôle de parents, avec leurs représentations et leurs canaux de communication entre eux et avec l’établissement.

Et pour finir, le métier d’enseignement est couramment décrit comme une profession devenue libérale ; les horaires calibrent la disponibilité, le programme cadre la discipline collective, l’investissement est par conséquent compté.

éducation - enseignants

Quand on dit que 30% du corps enseignant est mobilisable, cela ne signifie pas que les autres ne font rien, mais qu’ils font ce qu’ils pensent être leur service et à leur façon, sans implication réelle dans un cadre collectivement défini, assumé, respecté, tout simplement parce que cela ne leur semble pas utile.

L’augmentation des compétences professionnelles n’est pas toujours intégrée dans l’obligation professionnelle.

Notre horizon est autre : il est dans la notion de contrat entre l’établissement et chacun des personnels, de sorte que le parcours de compétences de chacun soit conçu, organisé, connu et valorisé comme une brique apportée à l’édifice. C’est une étape nécessaire, qui ne doit pas être vécue comme une privation de liberté, une contrainte institutionnelle, mais comme la voie la plus positive pour assurer une relation confiante a priori entre personnels et avec les parents d’élèves.

éducation - culture d'établissement

Le management de l’établissement a ici un rôle majeur, et il est politique : garant d’une organisation professionnelle aussi efficace et confortable que possible et  pour tous ; pilote du projet pédagogique, dont il est le facilitateur de sa définition et de son adaptation ; responsable RH d’abord investi dans  la qualité de relation avec les personnels au travers des entretiens professionnels pour connaître et suivre chacun, garant du droit,  garant des compétences devant les usagers , garant de l’éthique collective. Tôt ou tard, l’évaluation à 360° de l’établissement s’imposera comme facteur de cohésion et d’exigence collectives.

L’Enseignement français à l’étranger (EFE), un système scolaire interrogé

Longtemps, l’EFE a vécu sur des certitudes : il était le seul grand système éducatif souverain à couverture mondiale et il procédait d’une histoire, de principes et d’un savoir-faire appréciés voire admirés. D’où cette valeur universelle dont on le dit porteur.  

Longtemps il a été pensé comme une copie de son système source : la demande était si forte qu’elle exonérait de sortir du modèle, c’est-à-dire le critiquer positivement pour l’adapter.

Tout signe d’alerte sur ces certitudes est un peu comme la prédiction de Cassandre, une annonce inopportune. Or, le monde a changé et ne cesse de changer : beaucoup d’Etats souverains sont devenus plus protectionnistes, veulent valoriser leur propre modèle scolaire, ce qui peut entraîner des exigences croissantes sur l’école étrangère ; la demande sociale elle aussi oriente l’école et classe les modèles entre eux ; l’éducation a pris une grande importance dans la vie sociale et la conscience de son rôle dans la reproduction sociale et familiale, que l’on soit riche ou pauvre. Conséquence du tout, l’EFE n’est plus seul dans le paysage. L’objectif n’est plus d’être La référence, mais de rester une référence.

éducation - EFE

Ce qu’on appelle concurrence est le produit d’une montée en puissance et en exigence des attentes sociales auxquels répond une offre scolaire beaucoup plus abondante et diversifiée qu’il y a vingt ans. On peut camper sur des certitudes, le public et l’environnement, eux, les font évoluer et vite. Même les pays francophones, dont le modèle éducatif reste prioritairement lié à l’enseignement français, encourageant l’enseignement privé (lequel dans certains pays excède 50% de l’offre), ouvrent par là leur espace de la formation à d’autres modèles et donc à la concurrence.

A sociétés ouvertes, écoles ouvertes, mais à quoi? Que cherchent les publics, quel message nous adressent-ils, quelles informations sur l’école sont de nature à la guider ?

Il y a plusieurs manières d’aborder la question : en interrogeant la demande sociale (ce que la Mlf a inauguré avec des études de marché locales), en explorant autour de soi les évolutions éducatives en cours, en comparant par les résultats qu’ils obtiennent les différents systèmes scolaires dans le monde. En réalité les trois questionnent simultanément l’école et à leur façon : les grandes évaluations internationales comme PISA pour l’OCDE ou PIRLS  font bouger les représentations –mais, contrairement à l’Allemagne, pas l’organisation et donc les résultats en France, qui restent médiocres, voire régressent pour les élèves au pronostic de réussite le plus faible et montent pour les plus favorisés; la concurrence n’est que la hiérarchisation par la demande des offres scolaires entre elles, et elle montre une forte influence du système international ; enfin, aucun projet local ne peut se passer d’interroger régulièrement ce que sont les attentes de ses publics potentiels et comment elles obligent et dans quel sens à ajuster le projet scolaire.

repenser l'éducation

Aussi excellent qu’il soit, aucun système scolaire ne peut se projeter à l’extérieur sans s’interroger sur les autres et… sur lui-même.

La comparaison internationale se cale sur les résultats (les acquisitions des élèves d’une même classe d’âge), en cela, elle invite les systèmes scolaires à « se regarder dans la glace » ; la demande sociale informe sur les conditions de réussite, qui sont les attentes pour les générations futures, en cela, elle presse l’école de bouger. Et les deux vont dans le même sens : une internationalisation de nos systèmes scolaires, à la fois par l’analyse comparées de leurs performances, par l’influence d’un modèle qui est devenu dominant, et par la demande sociale qui le stimule.

Qu’est-ce qu’un enseignement international ?

Le mot est devenu le sésame, mais aussi le cliché de toute école qui veut parler à son public.  Il est déjà usé parce qu’utilisé par tout établissement privé qui veut montrer qu’il échappe au « national » réputé insatisfaisant, parce que trop local, banal, et privant les élèves d’ouverture ; et comme ces établissements sont légion, le terme n’a plus de valeur dès lors que tous revendiquent finalement la même chose : apprendre les langues, c’est-à-dire, pour le dire simplement apprendre l’anglais, ce nouvel esperanto par lequel on croit avoir accès à tout et sans lequel désormais, on craint de n’avoir accès à rien.

Il faut au contraire revenir aux deux composantes du mot lui-même : c’est à partir du national (qui nous définit) que l’on interfère avec les autres ; et c’est le besoin du dialogue, de l’échange, on dirait d’un « projet » commun (qui peut être commercial, intellectuel et purement spéculatif, technique, artistique, amoureux) qui crée la nécessité d’un espace commun de rencontre.

éducation - EFE

Remarquons qu’un établissement international l’est par essence dès lors qu’il accueille des personnels et des élèves d’horizons, de cultures, de motivations divers et leur construit une culture et un horizon communs.

S’il ne pense pas l’international pour lui-même, comment le penserait-il pour le message qu’il veut délivrer ?

L’international en éducation nous guide vers l’usage partagé des langues et des cultures par l’éducation. Mais pour quoi faire et comment ?

Faisons ici un sort au « partage », mot « Janus » parce qu’il sépare et réunit en même temps : non, les cultures ne peuvent par nature être fusionnelles ; mais aucune ne peut non plus prétendre être « pure » et seule, même si la tentation de domination est une constante de l’histoire humaine; donc, soit leur rencontre engendre chocs et destructions –et l’histoire n’en manque pas-, soit elle crée un désir, un besoin d’échange, de coexistence, et ce sont deux, plusieurs visions du monde qui apprennent à se connaître pour créer, augmenter et s’augmenter elles-mêmes.

éducation - l'humain au cœur des apprentissages

Le moins d’humain ou le plus d’humain, le pire comme le meilleur, c’est cela l’international ; et le supplément d’humain par le partage, c’est le projet de l’école internationale : une pédagogie de la complémentarité et du partage des différences.

Confier à l’éducation une vocation internationale revient à en faire un projet capable de construire des profils humains qui fassent de leur propre culture un atout pour entrer en « commerce » avec les autres, donc les comprendre, les respecter, les « vivre » suffisamment pour rendre l’échange possible et mutuellement profitable.

Education en France et à l’étranger : quelles sont les conditions de cet échange ?

éducation - EFE

L’échange linguistique suffit-il à créer les conditions d’un enseignement international? Est-ce parce que l’on connaît une autre langue, et la lingua franca en particulier que l’on est pour autant devenu international ? Une école de langues n’est pas l’école ; elle apprend à parler, à échanger, ce qui est utile.

Mais une communication d’usage universel n’est pas la maîtrise d’un bi/plurilinguisme qui construit un curriculum scolaire et permet à un locuteur en quelque sorte de penser deux, trois fois le monde avec des langues différentes. Et c’est la maîtrise de sa propre langue qui détermine une entrée réussie dans d’autres langues. Le prêt à parler peut être un prêt à penser, il n’est pas un passeport du jugement, de la sensibilité et de l’expression d’une identité.

La grande différence entre mondial et international est que le parler universel de la mondialisation est une commodité et une nécessité marchandes qui peut participer sans toutefois avoir pour finalité l’échange constructif entre les cultures. Pour faire référence à Borges, le congrès du monde reste une magnifique utopie, mais l’international est notre dure, incertaine, riche et immédiate destinée. C’est un projet politique dans lequel l’école a un grand rôle.

Dans un enseignement international, l’apprentissage des langues va de pair avec tous les apprentissages et tous les professeurs y sont impliqués.

éducation - EFE

L’humanisme demeure le socle philosophique de notre enseignement ; il correspond à l’idéal d’une humanité animée par la conviction que l’humain est le début et la fin de toute chose, et que l’horizon commun est l’apprentissage d’un savoir-vivre ensemble ; d’où ce qu’on appelle les valeurs, cet ensemble de principes moraux comme la dignité, le respect et la tolérance, l’égalité, tout ce qui fonde les droits de l’Homme ou droits humains, qui réunissent la communauté des Nations Unies.

C’est toute l’histoire de l’éducation occidentale, voire européenne qui se résume ici.

Or la réalité invite non pas à renoncer à ces valeurs, plutôt à considérer qu’aujourd’hui, elles ne s’imposent pas plus qu’elles ne sont admises et pratiquées par tous les individus, loin s’en faut.

Chaque société revendique sa propre culture, son histoire, ses traditions, ses croyances pour faire valoir un espace d’identité qui recoupe celui de ses frontières et les langues en sont d’une certaine façon les marqueurs. Il existe des langues transfrontalières comme il existe des pays dont les sociétés pratiquent nécessairement plusieurs langues (dans l’UE, les pays d’Europe du nord ; l’ex-espace de l’URSS ; les grandes langues transfrontalières africaines comme le kinyarwanda, le lingala, le bambara, le yoruba, le haoussa ; mais dans la majorité des cas, la langue nationale est l’être d’une société. 

Toute école nationale construit d’ailleurs les apprentissages fondamentaux sur la maîtrise de la langue nationale, ce qui va de soi mais charge aussi cette langue d’une vision des choses qu’il va falloir prendre en compte dans la construction des apprentissages. Cela vaut pour le français dans tout pays francophone où il est devenu une langue en soi, la même et pourtant différente de celle parlée à l’intérieur des frontières nationales.

éducation - EFE

Le programme français, hors de chez lui est un invité ; les établissements ne sont pas extraterritoriaux.

Etre international c’est d’abord savoir être national ; en ce sens, la diversité de nos personnels est une chance les uns pour les autres et tout établissement international devrait d’abord être une école sur soi et sur les autres : devant des élèves ivoiriens, un enseignant français sera enrichi de la culture de son collègue national et inversement.

éducation - construire un collectif

Les cultures s’enseignent et se pratiquent, et tout élève, tout groupe, tout enseignement est une étude de cas intéressant pour construire un collectif.

Plus compliqué encore, il s’agit de faire jouer à l’enseignement français le rôle de pivot d’apprentissages qui ne soient pas segmentés et juxtaposés en fonction des langues et des cultures, mais mis en relation, pour promouvoir à la fois un tout lisible, l’égalité entre langues et cultures, et un relativisme propice au respect des autres.

La difficulté est ici que la construction des apprentissages dans notre enseignement, notamment au secondaire n’aide pas à la construction d’un être global, du fait de la segmentation, et de ce que l’on pourrait appeler l’égoïsme des disciplines.

La plus grande difficulté que l’école pose à un élève est de se construire  comme être unique et complexe, mais aussi d’appréhender la complexité du monde, le complexe comme dit Edgar Morin, à partir de la fragmentation des apprentissages. Les enseignants ne se rendent pas toujours compte de la gymnastique qu’ils imposent à leurs élèves et, parce que cela nous convient, nous n’avons aucune mémoire de ce que furent de ce point de vue nos propres apprentissages, faits de doutes, tâtonnements et rétablissements.

Souvent devant des enseignants très exigeants vient la question : étaient-ils de si bons élèves qu’ils oublient de penser ce que pensent les élèves de l’enseignement ?

Un enseignement français international pose pour principe que la langue et la culture françaises sont des passeurs au service de l’échange entre les autres langues et cultures. Nous sommes les héritiers de Socrate, Montaigne, Voltaire et Einstein, tous ceux qui fuient les dogmes et les vérités absolues. Certes, le doute et le vertige ne sont pas faciles à vivre au quotidien, mais l’humain est  de ce côté, et il est aussi là, le sens profond de la « laïcité » : une transmission fondée sur le doute, le questionnement, la comparaison, l’induction.

éducation - EFE

l’histoire de l’enseignement français hors de France est lié à une intention civilisatrice par la religion (les missions), puis par la colonisation, induisant pendant longtemps une hiérarchie entre les cultures et donc les hommes ; l’école en a été le vecteur.

La composition de nos équipes est mixte. Notre tâche est de réussir à incarner aussi exactement que possible les valeurs que suppose un enseignement à portée humaniste dans une organisation vigile sur leur pratique et leur respect : égale dignité entre langues, cultures, contenus, représentations du monde, personnels.

La finalité d’un enseignement international, c’est démodéliser la recherche et la valorisation de la dignité humaine.

éducation - EFE

Le choix du programme français pour les élèves qui fréquentent nos établissements invite à poser la question suivante : pour quoi faire et où ?

Les situations sont ici très diverses. Dans le monde francophone, le baccalauréat garantit la réussite, entendue comme la meilleure chance pour entrer dans un cursus universitaire cohérent avec son amont scolaire, donc francophone. Dans le monde anglophone nord-américain, outre les écarts programmatiques et de progression, l’attraction croissante du modèle international entraîne une désaffection progressive de l’enseignement français. S’y ajoutent des modes d’évaluation des établissements et des élèves qui ne sont pas les nôtres. Peu à peu l’attraction de la culture française cède au puissant aimant anglo-saxon. Le programme français doit donc savoir composer avec d’autres programmes nationaux ou international, qui lui garderont son coefficient d’attractivité, afficher la plasticité lui permettant d’intégrer des contenus nationaux et internationaux sans lesquels il ne sera pas capable de résister au modèle dominant.

éducation - éthique dans la formation

Il y a fort à parier que si une charte existait, reprenant tous ces traits caractéristiques d’un enseignement international et d’autres encore que l’on oublie ici, elle recueillerait un fort agrément des praticiens. Pour autant, tant dans sa dimension des savoirs que de l’éthique, qui pourrait prétendre avoir les capacités de la mettre en œuvre sans une réflexion sur les compétences, les aptitudes des personnels d’éducation ?

Education : Former, c’est développer

Et c’est pour cela que s’imposait le choix du développement professionnel. Le succès du forum pédagogique, c’est-à-dire l’intérêt du plus grand nombre à le fréquenter fut notre premier indice que la révolution de point de vue était salutaire :  lieu de partage ouvert et confiant, sans inhibitions ni contrôle, ni hiérarchie, il est le vecteur d’une construction professionnelle en réseau, qui ne demande maintenant qu’à se projeter dans les établissements.

éducation - forum pédagogique - réseau mlfmonde

Qu’est-ce que le forum pédagogique ?  Une plateforme neutre et libre, facteur d’exercice de la liberté individuelle, qui conduit à la conscience de soi et au désir de faire mieux, accompagné par les pairs, la recherche, par le travail et la raison. Au contraire de la formation classique qui formate en formant, il est l’outil qui d’abord dé-forme par le questionnement sur soi et sa propre pratique, pour entrer dans des habitudes de recherche, de partage, de qualifications peut-être qui portent toujours plus loin la relation aux apprentissages et aux élèves.

Quand on explore les objectifs d’un tel enseignement, dont je prétends que nous sommes tous ensemble en train de le construire, nous communauté Mlf, on voit qu’il fait appel à des aptitudes et des réflexes permettant de le mettre en œuvre, et non à des savoir-faire tout prêts, qui seraient contraires à la réalité d’un EFE qui se décline en autant de situations problèmes qu’il y a de géographies de son implantation.

Tout enseignement exige évidemment un socle robuste de connaissances générales et spécialisées indispensables, des connaissances didactiques pour comprendre comment des savoirs peuvent devenir des objets de transmission ; celles relatives aux sciences du développement cognitif, encore parent trop pauvre du viatique que doit pourtant comprendre toute formation aux métiers de l’éducation.

éducation - l'interculturel au cœur des apprentissages

Un enseignement international convoque d’autre part des compétences sans lesquelles la transmission serait sourde et aveugle sur son objet : l’interculturel, supposant une agilité dans la comparaison, le rapprochement, la mesure des écarts, ce sont les fondements de l’esprit critique ; la pratique exigeante de l’évaluation, de sa propre pratique et de la production des élèves, qui fassent entrer dans une dynamique réflexive, celle  du doute constructif (par rapport à soi-même), de la confiance (dans les autres, élèves et collègues), du changement permanent comme nature même de notre monde (en somme, faire pour soi, enseignant, ce que l’on demande aux élèves) ; une éthique du partage :  hors de France plus encore parce que la mission d’enseigner est portée par des  catégories de personnels qui doivent se réunir pour faire projet et société commune, elle  oblige à faire table rase des certitudes, des préjugés, arrogances  et autres supériorités stériles pour installer un esprit de solidarité entre professionnels. 

J’y ajouterai volontiers une vertu : se défaire de la mauvaise foi, dans les termes que Sartre prête à cette expression ; c’est ce qui fait que l’on joue un rôle, que notre nature devient ce rôle, au point que le « jouer » l’emporte sur le vivre, le masque sur le visage. Et c’est le plus grand ennemi de notre métier qui au contraire doit être exigence critique, exigence d’échos et de retours pour progresser, partage d’expérience pour faire mieux ensemble. La mauvaise foi sartrienne est le plus grand ennemi de notre métier, car elle le projette à l’opposé de lui-même : supériorité du sachant au lieu de l’égalité entre des apprenants, postulat d’incarner le meilleur de l’éducation quand chaque système a sa part de vérité qu’il faut connaître, refus de se mettre à la place de… qui est la meilleure façon pourtant de cheminer ensemble vers la réussite… et au total comme dit Sartre, perte de la liberté, qui est pourtant la finalité du métier d’enseigner.

On nous dira que tout cela est utopique, surhumain, inutile puisque ni les institutions, ni les parents n’en demandent tant… Qui a dit qu’eux-mêmes ne seraient pas heureux d’en avoir plus en exigence, en vérité, en épanouissement de leurs enfants, si on leur en donnait la possibilité, si c’était la règle de la « bonne école » ? Qui aurait l’outrecuidance d’affirmer qu’eux-mêmes sont libres de choisir l’école de leurs enfants ?

Alors de tout cela, ayons conscience pour au moins faire la moitié de la route, avec la construction d’un « savoir-agir stratégique » commun, cette expression condensant excellemment la finalité de notre mission : éclaireurs et bâtisseurs d’avenir.


Jean-Christophe Deberre, ancien directeur général de la Mission laïque française, président d’honneur de la Mission laïque Côte d’Ivoire – discours prononcé le 1er février lors de l’inauguration du centre de développement professionnel d’Abidjan.

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