Mission laïque française

2021, une année anormale pour le système éducatif français

Nous savons que les crises font tomber des barrières, pas toujours de façon durable, et qu’elles révèlent les organisations à elles-mêmes sans nécessairement les transformer. Qu’en sera-t-il pour l’Éducation nationale avec la crise de la Covid-19 ?

La nouvelle année qui s’annonce sera anormale à plusieurs titres. Ses particularités marqueront l’école française qui n’est plus ce sanctuaire indifférent aux évolutions sociétales dont elle faisait sa fierté.

Sur trois registres, l’année 2021 qui commence confirme l’amoindrissement de son traditionnel isolement volontaire par rapport à la société comme dans ses liens au politique et enfin, ce n’est pas le moindre, en raison de la situation très particulière de son ministre.

Je décris ces trois éléments du contexte avant de formuler des remarques sur la période à venir à très court terme durant laquelle les règles sanitaires et la vaccination vont tout écraser.

La porte du bunker scolaire restera-t-elle entre-ouverte ?

Admettons que j’emploie dans ce texte le terme « normal » comme synonyme « d’habituel ». Je peux donc affirmer qu’il n’y a rien de normal en vue pour l’École à court et moyen termes.

Au contraire, l’année 2021 s’annonce singulière pour les systèmes éducatifs en général et pour le nôtre en particulier. Depuis près d’un an, notre école n’est plus coupée du monde comme le préconisaient Condorcet et ses émules, les défenseurs d’une école républicaine sanctuarisée. En France, cette tradition est ancrée dans les esprits, au point que lors du Grenelle de l’éducation qui va s’achever, les syndicats d’enseignants, étonnés par une situation inhabituelle se sont plaints d’être « noyés au milieu de la société civile ». C’est édifiant, il en faut très peu pour les effaroucher. « Noyés » est très excessif !

 Cette porte entrouverte a permis aux GAFAM[1] et à leurs produits de pénétrer le registre scolaire et de s’affirmer encore plus dans le domaine extra-scolaire (c’est un marché), faisant la jonction entre les deux et contribuant, de fait, à une continuité pédagogique ainsi placée entre les mains des élèves et de leurs parents. La porte du bunker peut-elle se refermer sur les GAFAM et sur les parents ? J’en doute. Alors, quelle attitude constructive adopter ?

Plus généralement, les liens et les interactions de l’École avec la société se sont depuis quelques mois intensifiés à travers une volonté de mieux assurer la sécurité des acteurs et des élèves, en milieu scolaire comme en dehors, de garantir l’application des lois de la République, en particulier en termes de laïcité, et surtout, avec la crise de la Covid-19, de respecter de strictes règles sanitaires pour, lentement mais sûrement, arriver à arrêter la propagation du virus malgré ses vagues successives (combien en connaitrons-nous ?) et ses redoutables mutations sur lesquelles nous savons encore peu de choses.

Les questions pédagogiques qui relèvent de ces sujets ont conduit à développer des échanges entre parents d’élèves et enseignants, inhabituels pendant les deux derniers siècles écoulés, sauf pour les petites écoles primaires en zones rurales. La fin de l’année 2021 verra-t-elle le retour tant espéré par certains de l’école du XIXe siècle dans une anormale normalitude ? Peut-être, qui sait vraiment ? Cet espoir devient (ou est déjà ?) une idéologie aveugle. En interne, les différentes phases écoulées depuis mars dernier ont donné aux enseignants plus de vues sur l’action opaque de leurs collègues, des aperçus glorieux dans certains cas, moins dans d’autres, comme mes premières chroniques[2] l’ont cruellement relaté et placé à la vue de ceux qui préféraient l’ignorer.

Oui, cette situation était littéralement anormale et elle l’est encore. L’automne prochain va-t-il voir revenir les pires pratiques professionnelles cloisonnées et anciennes ? Le bunker va-t-il se refermer ? Ce risque n’est pas écarté. Il est encore temps de mettre le pied dans la porte.


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Notes de l'auteur

[1] Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft.

[2] Librement accessibles sur les sites d’Horizons publics : https://www.horizonspublics.fr  , de la Mission laïque française, https://www.mlfmonde.org  ; d’Éducation & Devenir, https://www.educationetdevenir.net   de Aprèsprof https://www.apresprof.org/blog-de-apres-prof  ; sur http://www.concours-personnel-direction.fr/2020/11/crise-covid.htm l ; sur Linkedin et sur plusieurs sites francophones.

Les liens au politique changent

Les rapports de l’école au politique seront particuliers cette année. En premier lieu en raison des élections locales (départements et régions) qui sont annoncées en juin.

Même avec une lenteur de sénateur, l’implication des collectivités territoriales depuis 40 ans vis-à-vis de l’enseignement ne cesse de s’accentuer. Elle s’est accrue cette année en raison de la sécurité à garantir à tous les élèves et adultes, mais aussi d’une sécurité à assurer dans les transports scolaires, les cantines, les internats, une sécurité à décliner dans les précautions sanitaires, enfin la lutte contre la pandémie qui a nécessité l’appel à un usage massif et multiforme des outils, applications et connexion à Internet. En la matière, les équipements des établissements ne sont pas anodins ; fruit d’un dialogue avec les collectivités, ils traduisent des stratégies collectives d’enseignement. Soyons sûrs que le poids des collectivités sur ce registre très pédagogique va s’accentuer car elles le souhaitent dans leur grande majorité. Cet important payeur[1] aura son mot à dire puisque que les investissements pour le numérique et son fonctionnement sont de plus en plus lourds pour les budgets. Ils pèseront donc dans les batailles électorales locales durant les semaines à venir. Ainsi, comme conséquence de la crise, une lente et discrète territorialisation de notre école non seulement se poursuit, mais s’accentue. Qu’en sera-t-il après l’été prochain ?

Toujours concernant le rapport à la politique, même si la prochaine élection présidentielle n’est qu’en 2022, déjà une quinzaine de personnes se sont annoncées comme de futurs candidats ou disent réfléchir à la question, ce qui est tout comme. La campagne présidentielle est donc lancée, doucement, mais dès fin août elle s’intensifiera.

Après bientôt quatre années marquées par un ministre de l’Éducation nationale atypique, qui ne laisse personne indifférent, encensé ou honni, et après plus d’un an consacré par tous les acteurs et décideurs à faire face à la crise consécutive à la Covid-19, il est difficile d’imaginer que l’École du futur sera absente des programmes électoraux des candidats, ou à défaut dans leurs discours. Quel homme politique candidat à cette fonction suprême et orientée sur l’avenir à long terme oserait inscrire dans son programme un retour à l’école du passé, en dehors des afficionados de la situation d’avant la chute du mur de Berlin ? Apparatchik un jour, apparatchik toujours ! Qui un tel programme ferait-il rêver ? La future campagne présidentielle ne pourra donc pas s’affranchir de débats sur l’avenir inédit et très incertain de l’École. Pour cette deuxième raison, l’année 2021 n’aura donc rien de normal.


Note de l'auteur
[1] La Dépense intérieure d’éducation est assurée à 25% par les collectivités territoriales (seulement à 54% par l’État).

Un ministre à temps partiel ?

Enfin, le ministre lui-même ajoute de l’anormalitude ! Dans une précédente chronique, j’avais évoqué le bruit qui circulait depuis plusieurs semaines sur son éventuelle candidature pour l’élection régionale en Ile-de-France. Un premier sondage, peu encourageant, était même sorti, le plaçant en troisième position des candidats pressentis. Qu’à cela ne tienne, des bruits disent qu’il serait poussé à s’engager par le sommet de l’État. Si Jean-Michel Blanquer a les grandes ambitions politiques que d’aucuns lui prêtent, se frotter pour la première fois au suffrage universel, rencontrer le terrain, faire les marchés, écouter des personnes très différentes les unes des autres, être au contact direct des petites entreprises et des commerçants comme des puissants lobbies, notamment ceux du BTP, des secteurs de la santé, de la recherche, de l’industrie, des transport, etc. lui apportera une expérience précieuse qui lui fait défaut jusque-là. Ce qu’a réalisé Emmanuel Macron en accédant directement à la plus haute responsabilité élective est une première en France qui peut ne pas se reproduire avant longtemps. La politique a ses chemins de traverse que l’on observe très bien dans la période actuelle où les écuries se préparent.

Comme Jean-Michel Blanquer vient d’être désigné « chef de file » par le parti présidentiel, cela lève une incertitude à son sujet, mais pose de nouvelles questions.

En particulier, va-t-il décider de bientôt quitter son poste ministériel pour se consacrer entièrement à une campagne électorale qui s’annonce très difficile ? Son issue est incertaine car plusieurs listes risquent d’être présentes au deuxième tour, pouvant empêcher toute majorité claire de se dégager et conduisant à une sorte de troisième tour, où par des alliances inattendues, tout devient possible ; nous l’avons vu dans certaines régions par le passé. Si pendant la campagne électorale Jean-Michel Blanquer décide de rester ministre, d’assurer à la fois sa fonction ministérielle (il a renouvelé son équipe de proximité et dispose de deux secrétaires d’État) et sa campagne aux régionales, deux charges très lourdes l’une et l’autre, alors ce gros ministère se retrouverait pendant six mois avec un ministre à temps partiel ! Certes, nous l’avions déjà connu au début des années 1990 quand Jack Lang cumula deux fonctions ministérielles, en étant plus présent aux côtés de François Mitterrand que rue de Grenelle…

À son inévitable question à ce sujet, Nicolas Demorand, dans son émission du 14 décembre sur France-Inter eut de Jean-Michel Blanquer la réponse elle aussi inévitable : « chef de file ne veut pas dire candidat ». En fait, nous saurons officiellement ce qu’il en est dans quelques semaines, le temps pour le chef de file d’organiser une équipe, puis de bâtir un complexe projet régional (des groupes sont déjà à l’œuvre depuis plusieurs mois) et de rechercher les alliances nécessaires. Durant cette émission, Jean-Michel Blanquer s’est qualifié de « républicain social[2] », ce qui à ses yeux reflète « l’idée républicaine moderne ». Je sens que les élections venant, les concepts vont fleurir !

Vous croyez encore à une année 2021 normale ? Moi pas ! C’est l’anormalité qui devient normale ! La question est donc de savoir quelles conséquences ce contexte insaisissable aura sur l’École française.


Notes de l'auteur

[1] op. cit.

[2] Cela n’a rien à voir avec une espèce de passereaux endémique des zones arides du sud de l’Afrique ! Sans doute se réfère-t-il à un parti politique qui soutint l’action du Général de Gaulle entre 1954 et 1958 sous l’impulsion de Jacques Chaban-Delmas.

Des chocs idéologiques

La Covid-19 a exacerbé les tensions idéologiques existant déjà.

Alors que très souvent les évolutions sociétales viennent en Europe depuis l’autre côté de l’Atlantique, le trumpisme ne nous a pas encore complètement envahi, même s’il est présent dans plusieurs pays européens et au pouvoir, ou au bord de l’être, dans quelques-uns. En France, avec les Gilets jaunes, la Manif pour tous (la conjonction des deux résume bien le trumpisme !), les deux partis politiques extrêmes et populistes, chacun semblant un clone de l’autre, nous avons seulement du trumpisme fragmenté. Pour l’instant, ce multi-populisme est une spécificité française. Espérons que leur fusion ne se fera pas, mais rien n’est sûr et même le risque serait grand s’ils trouvaient un catalyseur, ce qui n’est pas exclu. Il y a quatre ans, personne ne croyait à la victoire finale de Donald Trump. Jusqu’à quel niveau le populisme va-t-il encore se développer en France et comment l’empêcher de triompher ?

Notre ministre de l’Éducation nationale tient régulièrement des propos qu’il veut rassurants (seulement 7 700 élèves contaminés en une semaine ; nul ne sait si c’est peu ou beaucoup ?) alors que des épidémiologistes (dont c’est le métier !), comme le professeur Éric Caumes, affirment que « l’école entretient l’épidémie, puis les contaminations ont lieu dans les foyers familiaux ».

Contaminés par des enfants souvent asymptomatiques, les parents sont à leur tour atteints de façon plus grave et parfois les grands-parents aussi, mais l’École ferme les yeux. Elle ne décompte pas ces cas qui concernent des adultes extérieurs à l’école. Et même, si elle le voulait, comment pourrait-elle aborder ces questions de santé en restant dans la légalité ?

Trois universités belges ont mené des études sur la circulation du virus dans leur pays. En France, il serait utile d’en faire autant car la réouverture des écoles depuis novembre serait selon les épidémiologistes l’une des causes de la résistance puis du redéveloppement de la circulation du virus ; au lieu des 5 000 nouveaux cas par jour visés pour le 15 décembre, nous en eûmes ce jour-là plus de 15 000 et 21 500 le jour de Noël (un vrai cadeau !), et depuis, en moyenne, 20 000 par jour. Les relâchements ont fait repartir à la hausse le nombre journalier de nouveaux contaminés ; quel sera l’impact final de la période des fêtes ?

Il fait plus soleil de l’autre côté de la rue !

C’est bien connu, il fait toujours plus soleil de l’autre côté de la rue ; alors, que se passe-t-il ailleurs concernant la pandémie ? Avec des nuances, la réponse est simple : en gros c’est la même chose, mais avec une temporalité différente et des vagues en nombre et intensité variables d’un lieu à un autre. Une troisième vague fait déjà son apparition ici et là. On assiste à une course à la surenchère dans la dureté et la longueur des mesures sanitaires dans nos pays voisins ; aucun n’y échappe. Certains commencent même à brandir le spectre d’une inévitable quatrième vague ! Combien connaîtrons-nous de rebonds épidémiques, sans doute de moins en moins forts ? Chez nous, courant janvier à la suite des fêtes de fin d’année, une troisième vague pourrait apparaître. Les vacances de février nous sauveront peut-être, les vacances scolaires sont notre principal remède ! Avec cette pandémie qui a déjà fait 1,7 million de morts à travers le monde, la fragilité de nos systèmes (scolaire et supérieur) nous a explosé à la figure malgré leur résilience au sens propre du terme, tout au moins à première vue, car dans les faits, elle reste à établir au-delà d’apparences superficielles.

Indépendamment des doctrines idéologiques, dans différents secteurs la Covid-19 a fait sauter des règles administratives, par exemple les jours et heures d’ouverture des magasins. Bien sûr, à l’Éducation nationale aussi, les règles ont changé et changent encore ; nous l’avons suffisamment décrit dans nos précédentes chroniques pour ne pas le répéter ici. La question qui vient à l’esprit est de savoir si ces modifications seront éphémères ou durables. Qui sait ? Les statuquologues sont à l’affût ! Avec la pandémie qui se prolonge, chacun prend conscience que la vue à l’échelle de tout le pays est beaucoup trop large et très frustrante. Entre l’Est et l’Ouest, les différences sont considérables ; la France est coupée en deux. Elles poussent à travailler par régions (le président de la région Grand-Est réclame un confinement rapide et court), département par département (les Alpes-Maritimes où les prémisses d’une troisième vague sont là), y compris, sans doute pour les questions scolaires. Les maires de plusieurs villes (Reims, Nancy, ou Nice qui dénonce les comportements « inappropriés ») appellent à des décisions rapides pour un reconfinement immédiat. Ils le demandaient dès le 26 décembre ou, à défaut, pour tout début janvier, avant la rentrée scolaire. Israël vient de décider son troisième confinement. D’autres pays qui l’ont décidé le 26 décembre : l’Autriche, l’Écosse, l’Irlande du Nord… s’ajoutent à l’Italie, l’Irlande, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Belgique Et la France ? Cela me rappelle le nuage de Tchernobyl !

Gageons que les départements qui se considèrent comme les plus vertueux ne vont pas accepter longtemps d’être traités à la même enseigne que ceux plus irresponsables, enclins à festoyer et à ne pas respecter les règles sanitaires. Le couple Maire-Préfet à assurément un bel avenir devant lui ! Quelles seront les conséquences sur l’École ?

La crise pousse à « l’innovation[1] »

Les 70% de lycées qui, depuis la rentrée de novembre, ont choisi un enseignement hybride ne l’ont pas fait sous la même forme.

Aucun ne s’est mis totalement en distanciel car ce n’était pas permis. Dans certains lycées, la moitié des élèves sont en présentiel pendant que l’autre moitié est à distance de façon synchrone, assistant ainsi aux cours donnés en classe. La semaine suivante, les groupes sont inversés, tout en tenant compte des élèves sans connexion chez eux. Grâce à des micros, les enseignants peuvent pendant leur cours en classe s’adresser aux élèves qui sont chez eux et qu’ils appellent « les distants ». Se pratiquent ainsi des systèmes hybrides synchrones, mais il en existe aussi d’autres, asynchrones. La variété est au rendez-vous. Assurément, d’ici la rentrée de septembre 2021, les enseignants auront fait de considérables progrès pédagogiques compensant les faiblesses maintes fois signalées de leur formation initiale et de la catastrophique absence d’une véritable formation continue. Il restera à les employer aux bénéfices des apprentissages des élèves ; rien n’est gagné d’avance. Et ne parlons pas de développement professionnel totalement absent, ce serait incongru !

Dans les « innovations » sociétales envisagées il y a celle d’un passeport vaccinal ; l’idée se précise, provoque des débats, et fait lentement son chemin ; jusqu’où ? Par exemple, François Bayrou s’y déclare favorable. Si cela voit le jour, l’école sera-t-elle concernée ? J’imagine déjà les débats ! Si au début de l’été les résultats obtenus sont insuffisants, se posera alors la question éludée pour l’instant de l’obligation vaccinale. L’Espagne a déjà créé un fichier des personnes qui refusent la vaccination. Et nous, que ferons-nous ?

Il y a d’autres « innovations » notables. Ainsi, il y a peu encore, nous en étions venus au pilotage par bimestres quand le Premier ministre a soudainement introduit des changements par quinzaines, en attendant d’en venir comme il vient de le faire le 15 décembre, par une annonce surprise, par « bi-jours » pour la fin de semaine. Parlant « d’auto-reconfinement » il a, deux jours avant son application, annoncé que l’école serait facultative (un concept qui a jeté le trouble) les jeudi et vendredi avant les vacances, une « simple tolérance ».

Au-delà, nul ne sait encore ! Un journaliste a même écrit que le ministre avait mangé son chapeau. Pour tenter de sauver les apparences, il a vite envoyé un mail aux recteurs ! L’information est arrivée aux enseignants et parents d’élèves par voie de presse ; un DASEN l’a même appris par un appel téléphonique d’un représentant syndical qui, lui, l’avait entendu sur France info. On n’arrête pas le progrès ! La flexibilité des équipes pédagogiques devient donc maximale ; il ne manque plus, ultime étape, que de décréter le « jour par jour ».

Un élément en date du 26 décembre (une grande première me semble-t-il !) confirme cette élévation du niveau politique des prises de décisions stratégiques accompagnée d’une spectaculaire diminution de l’échelle temporelle.

À la sortie du Conseil des ministres tenu ce jour-là, le porte-parole du gouvernement a annoncé une ordonnance (administrativement, c’est le niveau le plus élevé ; elle a force de loi) et un décret, publiés le jour même au Journal officiel, qui permettra, si la situation sanitaire devait l’imposer, d’adapter les modalités des concours et examens de la fonction publique, dont le baccalauréat, « dans un délai qui ne peut être inférieur à 2 semaines » (ouf !) avant le début des épreuves. C’est donc l’officialisation d’un « pilotage administratif à la quinzaine » ! La réactivité progresse elle aussi : il a seulement fallu 3 jours pour que s’expriment les premières réactions syndicales, très convenues. En fait, elles reconnaissaient enfin (10 mois après le début) que l’épidémie risquait de durer. Comme quoi tout le monde peut apprendre, mais plus ou moins vite ! Avec les vaccins, je devine les deux sujets dont on parlera en janvier dans les salles des professeurs et sur les réseaux sociaux.

Faut-il s’attendre, comme en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Italie, à ce que la reprise des cours en présentiel en janvier soit repoussée d’une ou de plusieurs semaines, peut-être jusqu’en mars ? Ou faut-il, à tout prix, maintenir la singularité française, fierté du ministre ?

Le professeur Arnaud Fontanet de l’institut Pasteur considère, à partir d’une étude, « qu’un enfant scolarisé représente un sur-risque d’infection à la Covid-19 ».

Certes, le 18 décembre, le ministre a voulu se montrer rassurant (tout va bien, soyez tranquilles !) en citant des chiffres qui peuvent sembler peu élevés mais ne disent rien de la dynamique enclenchée et des perspectives : 25 écoles fermées, 7 collèges et 2 lycées, ainsi que 146 classes, avec 5234 d’élèves contaminés et 904 parmi les personnels ce jour là.

Le temps des décisions stratégiques se rétrécit donc de plus en plus et, de jour en jour, la flexibilité du corps enseignant — dont ce n’était pas la qualité première — doit augmenter ; c’est peut-être là une autre contribution à leur formation continue ! Ce constat confirme l’une de mes précédentes chroniques dans laquelle j’avais fait remarquer que cette évolution allait de concert avec une élévation du niveau politique des décisions concernant l’école. J’espère pour lui que le ministre n’a pas l’impression de voir passer les trains ! À moins qu’il ait déjà la tête ailleurs ?

Et maintenant, suite au conseil de défense du 30 décembre, que va décider le Président de la République, notamment après la date totem plusieurs fois citée du 20 janvier ? Peut-être, pendant ses vœux y fera-t-il une brève allusion laissant le soin au Premier ministre et au gouvernement, ultérieurement, d’entrer dans le détail des décisions prises, avec les étapes envisagées et les calendriers possibles ?


Note de l'auteur
[1] Le mocking bird est toujours là !

Le point le plus sensible de cette rentrée

Fallait-il reconfiner dès le 26 décembre comme le demandaient des épidémiologistes (dont la biostatisticienne Zoé Hyde qui travaille sur des méta-analyses et estime que les confinements sans fermeture d’écoles ne sont pas complètement efficaces) ? La date du 20 janvier va-t-elle seulement servir à constater les nouveaux dégâts ?

Jean-François Delfraissy prédit un rebond à la mi-janvier car « le modèle n’a pas changé, le virus va continuer à circuler au fil de l’hiver » et une fois les fêtes passées, le professeur Karine Lacombe s’attend à « un rebond inéluctable des hospitalisations ». L’impact des vaccins ne se fera sentir, au mieux, que dans 6 à 8 mois, donc pas avant l’automne dans les pays où la part des vaccinés sera élevée (au moins 50% de la population). Or, la France risque, là aussi, de se singulariser.

On estime pour l’instant que cet été, seulement 15 millions de personnes seront vaccinées ; c’est beaucoup, mais très peu en proportion des 66 millions de Français. Janvier s’annonce donc comme le mois de tous les risques. En étant réalistes, les spécialistes notent sept raisons de voir apparaître en France une troisième vague : le taux d’immunité est insuffisant ; le deuxième confinement, plus léger, a été moins efficace ; les températures hivernales et printanières sont propices à la propagation du virus ; l’effet des fêtes de fin d’année sera sans doute fort ; les régions de l’Est déjà très infectées peuvent contaminer les autres ; la stratégie « tester, tracer, isoler » est peu efficace ; les effets du vaccin, attendus seulement à moyen et long termes, ne seront pas visibles avant l’automne.

Le ministre de la santé lui-même n’exclut pas un 3e confinement en cas d’aggravation de la situation mais « nous ne voulons rien confirmer à ce stade », dixit Olivier Véran le 29 décembre, alors que d’aucuns en appellent à un confinement européen qui a peu de chance de se mettre en place en quelques jours ! En fait, le gouvernement travaille sur quatre scenarii de durcissement des mesures déjà en place : le confinement total du territoire (pour l’instant il semble plutôt écarté)  ; des reconfinements ou des extensions du couvre-feu territorialisés (probable pour une vingtaine de départements)[1] ; un simple prolongement du couvre-feu et du télétravail ; le report de l’ouverture des lieux culturels et des restaurants. Trois options sont sur la table du gouvernement : des décisions immédiates, applicables dès le 2 janvier ; des réactions rapides et adaptées, mais seulement courant janvier après l’appréciation des effets des fêtes ; des réponses plus tardives encore, au prorata du nombre des nouvelles hospitalisations. Ce sont donc des décisions conflictuelles, difficiles à prendre, et qui n’ont pas les mêmes conséquences sur l’École.

Bien sûr, en janvier, l’attention du public sera accaparée par la vaccination : stratégie arrêtée, rythme, produits choisis, calendrier, populations concernées, modalités pratiques, lieux, problèmes rencontrés, suivi et effets secondaires, efficacité… Autant de questions qui ravissent déjà les débatteurs professionnels sur les médias et déchainent réseaux sociaux et complotistes. Or, à juste titre, Axel Kahn nous alerte déjà : « la vaccination ne peut-être la seule stratégie ».


Note de l'auteur
[1] Sans attendre les décisions gouvernementales qui ne sont ni connues avec précision, ni actées, la Meurthe-et-Moselle a décidé le 31 décembre d’anticiper le couvre-feu à 18 heures dès le 2 janvier.

Article du Recteur Alain Bouvier Professeur associé à l’université de Sherbrooke

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