Enseignement à distance : une expérimentation sans précédent !
Une nouvelle chronique du recteur Alain Bouvier qui fait un état des lieux des bouleversements pédagogiques qu'il a observé au sein du système éducatif français durant a crise sanitaire.
Commençons cet exposé cet état des lieux sur l’expérimentation de l’enseignement à distance en France par un un témoignage, celui d’Olivia[1], professeure des écoles dans un CP dédoublé d’un REP+ d’une grande métropole de province, très hétérogène comme ils le sont tous. Après les deux mois de confinement, même si elle ressent une overdose d’écrans, ce qu’elle raconte en trois pages montre que le contrat pédagogique qu’elle a établi à distance et qui marche bien est le reflet de ce qu’elle faisait de façon ordinaire, en présentiel, avant le confinement.
Avec une collègue qui assure un autre CP dédoublé, elles préparent tout en commun et depuis peu, dans la première phase de déconfinement, lorsque l’une enseigne à distance, l’autre assure le présentiel (elles n’ont retrouvé en classe que la moitié de leurs effectifs). Avant la crise, Olivia communiquait par mail avec les parents (pourtant parlant mal le français). Pendant le confinement elle a poursuivi de façon naturelle ; elle utilisait une « adresse classe » et diffusait comme avant une newsletter. Elle avait une bonne vision de l’équipement des familles et de l’environnement familial de chaque élève. Certes, les deux premières semaines d’enseignement à distance furent difficiles : « j’ai eu l’impression de vivre en apnée » dit-elle, un travail compliqué par ce qu’elle ressentait comme d’incessantes injonctions de sa hiérarchie. Elle a remplacé les outils officiels qu’elle trouvait peu efficaces par d’autres « faits maison » comme elle dit, qui lui semblaient plus adaptés. Elle a très vite installé un rituel incluant chaque jour deux classes virtuelles de 50 minutes, ouvertes aux parents heureux de la voir faire classe et qui pouvaient poser des questions malgré leurs difficultés langagières. La confiance des familles qui existait avant la crise s’est accrue. C’est pour Olivia le grand acquis de cette période. Elle a eu l’heureuse surprise que deux élèves en difficulté notable en présentiel se sont révélés à travers l’enseignement à distance et qu’une élève plus rapide que les autres s’est employée à faire des exercices de CE1 qu’elle allait chercher sur des sites. On voit ainsi la grande hétérogénéité même au sein d’un petit groupe d’enfants. En revanche, Olivia craint que « les écarts entre élèves se soient transformés en abîmes » ! On le sait, ce fait est général. Avec sa collègue, Olivia m’explique que c’est dans l’action qu’elles trouvent des solutions. Évoquant cela avec une amie enseignante en collège, elle reçut en retour cette remarque qui résume tout : « sans surprise pour moi : les bons profs en présentiel sont bons à distance. Les autres… !! ». Alors, si c’est une prof qui le dit…
La phase du confinement et l’enseignement à distance qui a duré deux mois a provoqué de l’usure chez les élèves, leurs parents, les enseignants et les cadres. Personne n’était préparé. C’est une dimension importante et à intégrer dans les dispositifs futurs. Des éléments montrent que durant cette période, dans beaucoup de cas : « le job n’a pas été fait ».
La culture vacancière de certains a encore frappé et l’on ignore où sont passés les enseignants perdus, notamment en LP, mais aussi dans les lycées et pour certaines disciplines du second degré.
Comment créer le contact à distance avec des élèves et des familles que l’on connait à peine ? Les « équipes » servent de commodes paravents à ceux qui au tout début, pour donner le change, ont fait un service minimal en distribuant un canevas d’activités aux élèves pour la semaine ; ils n’ont rien individualisé, n’ont pas assuré de suivi et ont très vite disparu des radars[2]. S’il existait des « anti-primes » prélevées sur les salaires des enseignants perdus, elles permettraient de payer des primes conséquentes aux innovateurs engagés et très méritants.
Cette attitude de certains n’est sans doute pas une spécificité française : un journal québécois parti à la recherche des « perles rares » dont « le dévouement la créativité et la passion en font des enseignants exceptionnels qui pourraient servir de modèles à d’autres » a conclu son enquête en disant que ces « super- profs sont exceptionnels ». Ce journal, peut-être trop sévère, reflète sans doute une image qui se renforce chez les parents d’élèves, qui estompe celle des innovateurs engagés et qui laissera des traces durables, peu à l’honneur de la profession. C’est beaucoup moins le cas dans le primaire que dans le secondaire.
Comme on me l’a dit, dans les précédentes tribunes, avais-je sous-estimé le nombre réel des innovateurs engagés, leur accroissement pendant la crise et leur influence progressive sur le conséquent ventre mou ? Je l’ignore encore. Espérons-le. On peut toujours rêver. Dans quelques mois, après l’été, seront-ils assez forts pour résister aux forces néfastes auxquelles ils se trouveront confrontés ? Nous le verrons vite, mais je crains le pire. Malgré tout, je conserve une petite lueur d’espoir, mais faible et très vacillante.
[1] Le prénom est changé car les innovateurs engagés comme Olivia risquent de vives réactions de leurs collègues statuquologues qui les détestent ainsi que de leur hiérarchie qui peut s’émouvoir du non-respect de l’un des 250 alinéas de la moindre circulaire. Leur vie est risquée, protégeons les !
[2] Sur ce point circulent pour le second degré, surtout les lycées et encore plus les LP, des chiffres impressionnants. Des données précises me sembleraient éclairantes.
État des lieux de l’enseignement à distance dans les autres pays
Empruntons certains éléments à un texte que Jean-Louis Durpaire prépare pour le numéro 84 de la Revue internationale d’éducation de Sèvres (RIES), auquel je renvoie ceux qui voudraient en savoir plus. Sur la planète, l’UNESCO vient de dénombrer près de 2 milliards d’élèves qui ne peuvent soudainement plus aller à l’école ! C’est un phénomène colossal et sans précédent. Avant la pandémie, environ 120 millions d’élèves étaient inscrits dans des dispositifs d’enseignement à distance, l’un des plus remarquables[1] étant « School of the Air » en Australie, basée à Alice Spring en plein désert, qui a commencé il y a plus de cinquante ans en proposant un système complet d’enseignement scolaire jusqu’à l’entrée à l’université.
Elle fut conçue bien avant Internet, en utilisant la radio à ondes courtes dont le confort n’était pas la qualité première. Ces dispositifs montraient que le dogme, mainte fois répété en France, selon lequel l’enseignement ne pouvait se faire qu’en situation de classe et en présentiel était manifestement erroné. Comme les autres dogmes il n’était étayé par aucune recherche. Depuis un demi-siècle, il eût été utile et pertinent de chercher à caractériser les apports des diverses modalités de formation pour les élèves qui désormais seront de plus en plus souvent en temps partagés entre présentiel formel et distanciel (formel et non formel). Mais souvent, chez nous, les chercheurs en sociologie de l’éducation préfèrent apporter des éléments confirmant leurs convictions idéologiques. En la matière les grandes ruptures, au sens où l’entendait Gaston Bachelard, restent à venir.
La situation des quelques 190 pays récemment comptabilisés par l’UNESCO est quasiment la même : fermeture des écoles. Toutefois, les réponses complémentaires apportées par chacun diffèrent en raison d’impératifs politiques, économiques, technologiques, culturels et de formation des enseignants. Par exemple, tous les pays n’ont pas décrété une fermeture totale impérative des écoles, laissant parfois, comme en Belgique, le terrain prendre les décisions avec les familles. Le Luxembourg s’est contenté de formuler des recommandations évasives.
Sauf exception, les solutions employées dans la mise en place de l’enseignement à distance reposent sur une forte implication des parents, bien au-delà de ce qu’elle était avant la crise et qui, pour une fois, fut appréciée des enseignants. Les systèmes éducatifs ont été confrontés au difficile problème de la « continuité pédagogique » (un concept qui vient de sortir !), en fait à de la discontinuité et surtout à l’insuffisance spectaculaire (en quantité et en qualité) des outils existants, notamment en raison de l’augmentation considérable du nombre des utilisateurs, soudain multipliés par 100, voire plus. Quel système technologique pourrait résister à cela sans problème ? Nulle part les enseignants et les cadres n’étaient préparés et formés pour faire face, sans doute pas même en Estonie. Et tous se demandent à quoi vont ressembler les années à venir. Faut-il privilégier certains publics comme l’enseignement professionnel (aux Pays-Bas), ou bien les élèves en fin d’études, ou bien tenter de s’adresser à tous en les admettant par roulement certains jours seulement ? Pour avoir une vue de l’actuelle situation planétaire, la Mission laïque française (MLF) prépare une « semaine des lycées français à l’étranger », idée qui me semble excellente.
Suivant les pays, les alternatives à l’enseignement en présentiel font appel à une grande variété d’options qui combinent l’utilisation de documents imprimés ou photocopiés, des émissions radio, des chaînes de télévision réservées aux questions d’éducation (phénomène très fréquent en Afrique, à Shanghai et en Amérique du Sud), le téléphone et massivement Internet pour les zones où il est accessible. On voit apparaître des plateformes offrant de multiples services individualisés, des cours en ligne, des batteries d’exercices, des tests, des évaluations, du tutorat et du monitoring et même, comme en Hollande des plateformes où des élèves offrent du tutoring à d’autres élèves… de quoi faire rêver Célestin Freinet ! Des outils numériques très appréciés des usagers sont détournés de leur usage premier (comme Zoom, Discord ou WhatsApp) afin d’apporter de l’aide aux apprentissages des élèves. La Finlande a préservé en priorité les services des cantines, le Royaume-Uni les enfants « vulnérables » et les enfants des travailleurs essentiels dans la lutte contre la coronavirus. La Corée du Sud, encourage les familles à se tourner, plus encore qu’à l’ordinaire, vers des cours privés. Notons une particularité au Québec (peut-être ailleurs aussi) où des enseignants sont invités à mettre le chef d’établissement en copie des mails échangés durant cette période ; chez nous, avec nos gros établissements secondaires, cela pourrait se faire avec les professeurs principaux.
Enfin, hélas de fait et tristement, l’équité éducative, ce que nous appellerions sans doute la justice scolaire, régresse de partout et pose les problèmes les plus ardus pour les temps qui viennent.
Crise sanitaire Covid19 et enseignement à distance : un révélateur de notre système éducatif
La crise provoquée par la Covid 19 est un révélateur du fonctionnement antérieur des systèmes éducatifs en général et du nôtre en particulier. Selon Thomas Piketty elle montre « le besoin de réduire les inégalités à travers un autre modèle » et pour l’éducation, elle témoigne de la difficulté pour améliorer l’équité des systèmes éducatifs et l’on sait que le nôtre n’a rien d’exemplaire puisqu’il n’est ni juste ni conforme à l’idéal du mérite républicain. On pourrait presque dire que la crise est salvatrice en révélant avec insistance nos carences tout en éclairant quelques modestes avancées. Le bilan complet reste à faire. Par exemple face aux 13 millions de Français qui souffrent d’illectronisme selon Jacques Toubon, l’Éducation nationale fait œuvre utile, presque sans le savoir et sans l’avoir décidé ! On entend aussi sur les ondes une publicité qui félicite les parents pour leurs progrès faits en anglais et en mathématiques !
On le sait, la métaphore du mammouth est là pour le rappeler à ceux qui l’auraient oublié (je ne crois pas qu’ils soient nombreux !) l’Éducation nationale est un monstre compact à évolution très lente qui se meut, en gros, au rythme des décennies. Et depuis peu, incroyable mais vrai, avec la crise, le confinement brutal et total pendant 2 mois et déjà suivi par deux actes de déconfinement elle, en est soudainement venue à un rythme de changements conséquents, tous les mois, et cela n’est pas fini. Elle est dans la situation d’un coureur de marathon essoufflé qui soudainement doit enchainer des 100 m au rythme des records du monde ! Avec une conséquence supplémentaire qui ne fait aucun doute : malgré son mode de pilotage centralisé, descendant et directif, « la crise sanitaire a émietté l’Éducation nationale » écrit François Jarraud.
Je ne peux pas résister à livrer deux piques du mocking bird. Les enseignants se plaignent dans les médias de manquer chez eux des outils nécessaires pour enseigner à distance. Or, disent-ils, en temps ordinaire ils travaillent plus chez eux qu’en établissement et même pendant 20 jours durant leurs longues vacances. Comment font-ils ? N’est-ce pas étrange ? Durant le confinement, selon une enquête menée à la demande d’une organisation syndicale, 63% des enseignants se sont plaints de travailler plus de 4 heures par jour. Quel drame ; ce propos en dit long ! Ils ajoutent que cela aurait doublé ou triplé leur temps de travail ! Même si le terme « travail » regroupe des activités très différentes, se rendent-ils compte, en disant cela, de l’effet dévastateur de leurs propos ? Sans doute pas : les enseignants fréquentent surtout les enseignants ; c’est ce que l’on nomme la culture CAMIF !
On peut porter au discrédit de cette situation évolutive ses conséquences négatives pour les élèves les plus fragiles, qui représentent en France plus du quart des effectifs scolaires et dans certains territoires une quasi-majorité, Avec le temps, les liens avec les élèves se sont distendus et le nombre des décrocheurs a fortement augmenté. On notera aussi que pendant ces mois écoulés, un peu désemparés, les cadres de proximité ont disparu du paysage, ainsi que les formateurs, les chercheurs et les corps d’inspection du second degré qui ont surtout écrit des vade-mecum.
Que faut-il retenir de cette période de confinement puis de déconfinement ?
Huit points notables sont à relever :
- pour la première fois en France, un usage massif d’outils numériques ;
- une alliance nouvelle de certains enseignants avec les parents d’élèves ;
- la rupture de l’uniformité du système, temporelle et territoriale ;
- la possibilité donnée aux parents de choisir entre diverses options proposées
- la pratique par les enseignants d’un accompagnement des élèves à travers une pédagogie plus individualisée ;
- l’esquisse de systèmes hybrides (je terminerai cette chronique en revenant sur ce sujet : ce n’est qu’une pâle esquisse) ;
- une approche nouvelle, mais bien timide, de l’évaluation, de la notation, du contrôle continu ; on peut vivement regretter que sous la pression syndicale, les notes données par des enseignants pendant cette période ne comptent pas, soient affectées d’un « coefficient zéro » ! Je le sais, vous me direz que l’on n’a que les syndicats que l’on mérite !
- De nouvelles réflexions sur le métier d’enseignant, de professeur principal (peu visible dans beaucoup de cas, mais pas toujours), de CPE, de chef d’établissement et d’inspecteur.
Ce n’est pas rien ; tout cela en seulement quelques semaines.
Il est clair que des questions taboues sont soulevées ; resteront-elles sous les projecteurs ou seront-elles vite remises sous le tapis comme en rêvent les statuquologues ?
On peut ainsi noter trois paradoxes de cette période de confinement et de l’acte 1 du déconfinement :
- ces deux périodes peuvent être qualifiées de vertueuses parce que personne n’était préparé, ni les enseignants, ni les élèves, ni leurs parents et surtout pas les habituels statuquologues réticents à tout ; pourtant le système ne s’est pas effondré. Au contraire, il a fait preuve de résilience, de capacités à naviguer entre les écueils.
- les enfants des couches intermédiaires ont été les premiers à revenir à l’école au mois de mai et non pas les décrocheurs, contrairement aux intentions ministérielles. C’est un vrai problème loin d’être résolu.
- une mère de collégien fait observer : « j’ai fait de l’enseignement, mais pas à distance ! ». Certains parents ont bien aimé cette situation alors que d’autres ont vite été épuisés découvrant certaines des facettes du métier d’enseignant.
Que prépare ce mixte pédagogique totalement empirique, auquel personne n’avait pensé ? Ce qui s’est mis en place n’est que partiellement de l’enseignement à distance ; avec l’aide des parents, c’est une pâle réplique du présentiel ; que préfigure-t-il ? Après deux mois de confinement total (plus d’école), le 7 mai a commencé l’acte 1 du déconfinement, une période de trois semaines annoncée par le Premier ministre, proposant par la voix de son ministre de l’éducation 4 systèmes au choix des parents. Jean-Michel Blanquer a annoncé qu’un million d’écoliers seraient accueillis par 130 000 enseignants (les autres continuant d’enseigner à distance) et que 80% des écoles primaires seraient ouvertes. Pour leurs enfants, les parents pouvaient choisir entre 4 possibilités (du jamais vu en France !) :
- à l’école par petits groupes pour 15% des élèves, la priorité étant donnée aux GS, CP et CM2 ;
- en étude, quand les conditions le permettaient, ce qui fut rare ;
- dans des locaux périscolaires ;
- à la maison, pour la grande majorité des élèves.
Cette phase a été suivie le 2 juin et à nouveau pour 3 semaines, d’un acte 2 de déconfinement encore plus complexe, lui aussi sans précédent et laissant toujours le choix aux parents. L’essentiel était le maintien d’un strict respect du protocole sanitaire (près de 60 pages !) largement diffusé par les pouvoirs publics.
Déconfinement en France : un acte 2 qui mérite notre attention
Cette troisième étape n’est pas une accélération de la précédente, c’est beaucoup plus, quantitativement et surtout qualitativement, car c’est une vaste expérimentation nationale sans précédent. Symboliquement, cet acte 2 du déconfinement, a lui aussi été annoncé par le Premier ministre et détaillé en sa présence par Jean-Michel Blanquer qui visiblement ne semble pas apprécier d’avoir à faire cet exercice de cette façon-là.
Le protocole sanitaire reste le même, il n’est pas allégé et limite beaucoup le nombre des élèves susceptibles d’être accueillis dans les établissements. L’acte 1 marquait le symbole d’un retour en classe très étroit des élèves du primaire (16% en ville, 33% en zones rurales), avec une légère montée en puissance de semaine en semaine. Cette nouvelle période depuis le 2 juin est à observer avec une grande attention car elle ressemble à un galop d’essai, à une grande répétition sans équivalent dans l’histoire du système éducatif français. Elle fournit des indices sur ce qui se passera peut-être après l’été (même si, pour rassurer, la rentrée aura sans doute l’apparence d’être proche de la normalité) et surtout tout au long des années prochaines. La variété des situations proposées est telle qu’elle permettra de pratiquer de riches retours d’expériences. Il y aura de quoi en faire et tout dépendra de la volonté collective des établissements et des enseignants. Ce qui semble à première vue un problème donne aux professeurs une occasion de repenser l’enseignement scolaire.
En principe, pendant 3 semaines, les écoles, les collèges et lycées des zones vertes devraient ouvrir (mais seulement pour un niveau et, en zone orange, seulement les LP) et toutes les Ulis destinées aux élèves à besoins particuliers, ce qui ne dit absolument rien de leur présence effective laissée au choix des familles et dépendant de la présence effective de personnels et de matériel indispensables. Pour pouvoir accueillir les élèves dans le respect des règles sanitaires ont été inventées diverses formes d’alternance scolaire à l’intérieur des options proposées : un jour par semaine, ou deux jours, ou une semaine sur deux ou… L’école est en miettes !
Les familles peuvent opter entre 4 possibilités très différente :
- l’enseignement à temps plein à l’école, mais seulement pour une petite minorité ;
- l’enseignement à mi-temps en présentiel (selon diverses formules) avec un mi-temps à distance ;
- l’enseignement à mi-temps à l’école avec un mi-temps dans des tiers lieux ou des cités éducatives en termes de co-éducation pour les activités qualifiées de 2S2C[1], encadrées par des personnels communaux ou d’associations ;
- l’enseignement à distance, à la maison, assuré par les enseignants qui n’interviendront pas en présentiel ou qui auront des services à compléter.
Le plus urgent et le plus difficile à faire concerne les lycées professionnels et les établissements spécialisés. Dans certains, 90% des élèves seraient perdus de vue (beaucoup d’enseignants également !). La moyenne est estimée à 60%. Leur retour relève du miracle et de la pensée magique ; c’est donc un redoutable défi ! Pour les collèges en REP+, plus de 30% des élèves ne répondent à rien (parfois beaucoup plus encore), ni aux SMS, ni aux mails, ni aux appels téléphoniques des enseignants et CPE, ni aux rappels de leurs camarades et les parents pratiquent aussi le silence radio.
Dans cette période de déconfinement, on aura tout vu et ce n’est pas fini ! Pour l’instant, moins d’un enseignant sur deux est revenu en classe. À Brest, une salle de classe a été installée dans les murs d’une entreprise avec une enseignante recrutée pour superviser le travail des enfants des salariés, allant du CE1 à la troisième.
Éducation et enseignement hybride : comment s’annonce le futur immédiat ?
Malgré le caractère quelque peu anarchique de la période de confinement puis les consignes plus ou moins inattendues formulées pour deux premiers actes de déconfinement (combien y en aura-t-il ?) il restera de cette période la diffusion de nouveaux usages professionnels qui marquent déjà le paysage pédagogique, favorisés par l’intrusion des GAFAM. À moyen terme, en France, vers quoi allons-nous? Ce n’est pas un hasard si les maires ruraux demandent « vers quel modèle d’école on se projette ? ».
Nous ne sommes pas à l’abri des déclarations les plus folles, c’est un grand classique des idéologues et des statuquologues. Par exemple, des associations de spécialistes[1] ont formulé une incroyable et indigne demande : « nous pensons que les programmes de la rentrée 2020 doivent intégrer les lacunes d’apprentissage des élèves », confondant « programmes » et « compétences des élèves » ! Parmi les associations signataires de cette déclaration figure une qui m’a été chère pendant plusieurs décennies, l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP). Si j’en étais encore membre, j’aurais aussitôt déchiré ma carte ! En lisant cette déclaration j’ai eu honte pour la profession.
Curieusement, alors qu’il est juriste, le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Jean-Michel Blanquer a annoncé qu’en septembre l’école sera obligatoire. Or, aucun élève n’est obligé d’aller à l’école. Sauf à vouloir faire voter une loi qui serait ressentie comme une déclaration de guerre, l’école n’est pas obligatoire, c’est l’éducation qui l’est. Sans doute, par cette formulation maladroite, exprime-t-il son intention de reprendre les clés de la maison que la crise a données aux parents d’élèves. En septembre, il leur sera sans doute demandé de s’expliquer sur leurs choix, comme le faisaient déjà les 5% de parents qui avaient choisi le homeschooling. Mais désormais rien ne sera simple.
Avant la crise, les possibilités offertes par le registre informel n’étaient que des compléments à l’enseignement formel choisis par les parents. Du jour au lendemain, en mars dernier, l’informel est devenu la pièce centrale de l’enseignement et le formel seulement un appui, un guide, surtout pour les élèves et les familles qui ne trouvaient pas mieux. Dans quelques mois qu’en sera-t-il ? Comment évoluera l’actuelle centration sur l’élève, ses apprentissages et l’accompagnement de ses parents ? Après les réponses partielles apportées dans l’urgence et sans recul depuis trois mois, comment le tout sera-t-il réaménagé ? Peut-on rêver d’un consensus entre les parents d’élèves et la corporation enseignante habituellement fermée sur elle-même ?
Comment retrouver les professeurs perdus ? Comment aller chercher les élèves décrocheurs, en particulier ceux qui jouent la nuit, dorment le jour jusqu’à 17 heures et qui ne répondent à aucune sollicitation ? Sans évoquer un possible retour de la Covid 19 avec les brumes automnales, que sera le protocole sanitaire après l’été ? On dit qu’il pourrait être allégé ; certes, mais jusqu’à quel point et avec quelles conséquences pratiques ? Les parents auront-ils encore le choix entre plusieurs possibilités ?
À travers les quatre dispositifs actuellement proposés au choix des parents durant cet acte 2 du déconfinement est expérimentée la poursuite de l’enseignement à distance. Le ministre vient en effet de déclarer devant les députés et sénateurs : « l’école de demain s’appuiera largement sur de l’enseignement à distance », sans préciser jusqu’à quel point. Les futurs Etats généraux du numérique en fin d’année apporteront sans doute des lumières. Mais surtout, et c’est la grande nouveauté, l’école à temps partiel a fait son apparition, selon plusieurs modalités laissées au choix des parents et des collectivités locales, avec des compléments possibles de différente nature. Ainsi les 2S2C déjà cités prennent tout le monde de court, même si « le 2S2C est l’avenir de l’Ecole » selon une déclaration du ministre devant la représentation nationale. S’ajoutent à ces possibilités des compléments assurés par des enseignements à distance proposés par les enseignants n’intervenant pas en présentiel, en gros, actuellement, la moitié des enseignants. Je souhaite donc bon courage aux chefs d’établissements pour organiser tout cela et préparer la rentrée !
Ne dites pas que cela ressemble à un monstre ; c’est un monstre ! Que préfigure cette énorme expérimentation dont on va commencer à tirer des leçons tout au long des mois de juin et juillet ? Une version significativement très allégée de l’école formelle, doublée d’une part plus conséquente d’activités périscolaires et d’enseignement à distance ? On avance aussi l’hypothèse de la constitution de « brigades d’enseignants » qui seraient dédiées aux élèves décrochés et qui pourraient préfigurer une profonde modification des REP. Nous allons bientôt savoir ce qu’il en sera puisque des réflexions collectives sur l’avenir viennent d’être lancées. Ira-t-on, (certains députés l’envisagent), jusqu’à une loi pour installer l’enseignement à distance comme alternative à l’école en présentiel ? Il est encore trop tôt pour le dire et cela peut sans doute se faire par voie réglementaire.
L’école hybride n’est pas encore née
« L’école d’après » existe déjà, noyée dans l’actuel et monstrueux dispositif scolaire. En particulier l’école hybride se dessine, mais n’est pas encore née. Elle a besoin d’être définie, précisée et surtout scénarisée, on en est encore très loin. Le problème présent est systémique, il demande donc une réponse systémique. L’incroyable patchwork constitué ne propose que de simples juxtapositions dont la cohérence d’ensemble n’est, semble-t-il mais je me trompe peut-être, le souci de personne, surtout pas des enseignants ni des cadres, à l’exception des statuquologues avec leur rêve de vite revenir à « l’école d’avant », comme si rien d’important ne s’était passé. Au XIXe siècle, les chandelles et les lampes à pétrole avaient du charme ; mais aujourd’hui, pour s’éclairer, on a mieux. Faute d’imagination ou de courage de la part de certains, le risque serait d’en revenir à l’école des siècles passés.
En vue d’imaginer la suite de cet acte 2 et la prochaine rentrée scolaire, dès ce mois de juin nous pouvons nous attendre à de grands débats autour de classiques postures manichéennes. Les obstacles seront sur les usages car les innovations apparues ne concernaient que les usages, ce qui gênait beaucoup les statuquologues préférant parler de statuts et de normes. Là, ils n’étaient pas sur leur terrain favori. On n’a noté aucun changement dans les habituels discours tenus par les uns et par les autres sur l’éducation. Clairement, n’en déplaise aux idéologues, ce n’est plus le pourquoi ? qui importe – puisqu’à partir d’un discours convenu, dans les faits tout est possible et le contraire de tout – mais le comment, avec quoi et avec qui ?
Comme certains commencent à le demander, notamment des think tanks[1], entre l’État, les collectivités locales, les enseignants, les autres personnels, les parents d’élèves et la société civile, est venu le temps d’un nouveau contrat scolaire à élaborer puis à soumettre au Parlement.
Sans doute vient le moment où, pour la première fois, ce ne sera peut-être pas une seule des parties prenantes (toujours la même) qui décidera de tout pour toutes les autres.
Ce texte estlibre de tout droit. Il est plus long que les précédents en raison de tout ce qui s’est passé en seulement trois semaines. [1] Ils sont accessibles sur plusieurs sites, en particulier d’Horizons publics, de la Mission laïque française (Mlf), d’Éducation et Devenir, de Canopé…
Cette tribune fut écrite avant l’annonce du 14 juin du président de la République annonçant la réouverture des écoles et collèges, obligatoire pour tous les élèves avec la levée des contraintes sanitaires.
Article du Recteur Alain Bouvier Professeur associé à l’université de Sherbrooke
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