Mission laïque française

Crise sanitaire : le pilotage par bimestres se poursuit en France

Après ces huit mois de crise et avec l’arrivée prochaine des vaccins tant attendus va commencer en 2021 une nouvelle période semée de multiples embuches tout au long de l’année prochaine, peut-être au-delà, qui s’ajouteront aux problèmes sanitaires et pédagogiques posés par la Covid-19. Mais, dès à présent, quels sont les premiers éléments de bilan pour notre système éducatif de cette première phase.

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Après ces huit mois de crise et avec l’arrivée prochaine des vaccins tant attendus va commencer en 2021 une nouvelle période semée de multiples embuches tout au long de l’année prochaine, peut-être au-delà, qui s’ajouteront aux problèmes sanitaires et pédagogiques posés par la Covid-19.

Mais, dès à présent, quels sont les premiers éléments de bilan du pilotage de notre système éducatif ?

Crise sanitaire mondiale : où en sommes-nous ?

Aux USA la 3e vague[1] commence et la ville de New-York vient de fermer toutes ses écoles (un million d’élèves). N’en déplaise à Trump, on observe dans ce pays une accélération fulgurante de l’épidémie qui conduit à un confinement dans l’Oregon, l’Idaho et le Nouveau-Mexique. Les perspectives à court terme sont très mauvaises. Au Canada, la ville de Toronto et ses environs viennent d’être confinés ce 23 novembre. La situation chez nos voisins les plus proches, du nord au sud, de la Belgique à l’Espagne en passant par la Russie, l’Allemagne, et l’Italie (ou la situation a empiré de façon inquiétante) a conduit à prendre des mesures draconiennes. La Suisse qui avait bien traversé le 1ere vague est rattrapée par la 2e et devient l’une des zones les plus durement touchées sur le continent. De façon classique, les cantons francophones demandent plus de fermeté à l’État alors que les cantons germanophones insistent sur la responsabilité individuelle. Même la Suède, très singulière jusque-là, pays à faible densité humaine et surtout très discipliné, doit changer sa stratégie et prendre des mesures intrusives et sans précédent pour ce pays. Curieusement, seul le Luxembourg, micro-territoire, échappe à cette déferlante.

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Chez nous, comment échapper au « stop and go » avec la 3e vague qui se profile début 2021 après les fêtes de fin d’année qui peuvent relancer l’épidémie ? Le 2 novembre nous avons laissé ouverts les écoles, les collèges et les lycées avec de strictes règles sanitaires. Certains pays, comme la Grèce, ont fait le choix d’avancer les vacances de Noël et leurs élèves sont déjà en vacances. Des « vacances apprenantes » ? Non, semble-t-il. Devrons-nous en venir là ? Après les lycées, les collèges, au moins les gros, arrivent dans le collimateur sous la pression de certains syndicats.


Note de l'auteur
[1] Première en avril, deuxième en juillet.

Un nouvel horizon avec les vaccins en vue

Cet horizon se rapproche. Sur la planète, une dizaine de projets parmi une quarantaine font la course en tête et plusieurs entreprises affirment que leur produit pourra être utilisé sous peu, en décembre pour les premières. Ont-ils brulé les étapes et bien fait tous les essais nécessaires ? C’est aux autorités de santé internationales et nationales de le dire. Avec les vaccins vont arriver des tonneaux de fake news et quantité de nouveaux problèmes soulevant pendant des mois de vifs débats qui ont commencé. Par exemple, le mouvement antivaccins s’exprime déjà. Faut-il rendre le vaccin obligatoire pour tous ou pour certaines populations comme l’ont suggéré des personnalités de bords politiques très différents, comme Gérard Larcher et Yannick Jadot ?

Quels vaccins seront disponibles en France ? Ils ne viendront ni des mêmes entreprises ni des mêmes pays. Ils ne reposent pas sur les mêmes principes, certains sont classiques, mais d’autres[1] s’appuient sur des recherches nouvelles. A-t-on suffisamment d’informations sur la durée de l’immunité que l’on peut en attendre et sur leurs effets secondaires ? Quelles entreprises et quels pays producteurs seront privilégiés ? Combien d’injections faudra-t-il ? Quelles seront les personnes prioritaires ?

Sur le plan pratique, il s’agira de vacciner presque toute la population, c’est énorme ! Il faudra donc disposer de stocks suffisants, monstrueux et les acheminer dans plusieurs milliers de points pour mailler finement le territoire. Certains vaccins seront à conserver dans des chambres froides à -70°C. Il faudra aussi mobiliser pendant des mois les ressources humaines nécessaires, donc planifier la vaccination des populations plus ou moins prioritaires. Les pouvoirs publics devront sous peu rendre accessible leur plan de vaccination qui, n’en doutons pas, sera aussitôt l’objet de vives critiques. L’Allemagne, bien connue pour ses capacités d’anticipation et de planification a déjà commencé à construire des bâtiments spécialisés sur l’ensemble du pays. Chez-nous, quelles seront la stratégie, les infrastructures et les ressources humaines mobilisées ? Il se dit que la première campagne massive pourrait être lancée en France début 2021 ; elle nécessitera adhésion et confiance, on en est encore loin. Elle se poursuivra au moins jusqu’à la fin de l’année 2021. Quel impact ce plan aura-t-il sur le système éducatif dont les enseignants seront sans doute positionnés parmi les plus prioritaires. ? Ils le sont déjà pour se faire tester ; le font-ils ? Que faudra-t-il faire vis-à-vis des élèves et des enseignants qui auront refusé d’être vaccinés ? Avec le vaccin, une masse de nouveaux problèmes arrivent donc et vont complexifier la gestion de la crise.


Note de l'auteur
[1] Comme les vaccins à ARN, les premiers prêts.

Établissements scolaires : la légitime inquiétude des parents d’élèves

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Comme dans le Vendée Globe, les tempêtes se succèdent, mais malgré des dégâts causés aux bateaux, la course les traverse et continue. Pour les parents d’élèves, l’inquiétude du moment concerne l’imminence d’une possible nouvelle scolarisation à domicile qui, venant télescoper leur télétravail, interpelle la « fonction garderie » de l’école qu’ils apprécient tant.

Après les lycées, ils savent que des collèges peuvent être concernés car certains d’entre eux disent publiquement qu’ils craquent. Pourquoi pas aussi des écoles primaires si la deuxième vague de la Covid-19 n’arrive pas à être maitrisée en certains lieux ? En matière de pandémie, il n’y a pas d’égalité territoriale.

Sur la planète, cette période est folle sur plusieurs plans ! Pensez donc ; après avoir proféré publiquement en 4 ans 20 000 mensonges relevés et décomptés par les scrupuleux médias américains, Trump a failli être réélu avec 74 millions de voix[1], pratiquement un électeur sur deux. Il a encore, le 14 novembre, crânement proféré une contre-vérité en disant devant les journalistes que son pays avait le taux de létalité le plus bas du monde, alors que plus de cent pays (ce n’est pas rien !) font mieux que les USA sur cet indicateur. Plus c’est gros, mieux c’est ! Aucune importance que ce propos soit facilement réfutable et réfuté, il s’en moque. L’éthique est totalement absente et nous sommes à des années lumières de débats scientifiques. Il le sait, ses électeurs sont prêts à tout gober sans le moindre recul et en redemandent même. Avec un vocabulaire de 500 mots, il a ramené la politique à de la téléréalité, la plus vulgaire qui soit.

Vous pensez que je me suis éloigné des conséquences sur notre système éducatif de la crise provoquée par la Covid-19 ? Pas du tout, vous allez le constater.

Sur un plan plus modeste, nous avons, nous aussi nos spécialistes de la contre-vérité systématique qui ne manquent pas de nous prouver que le ridicule ne tue plus. D’ailleurs, où et quand a-t-il tué ? À la Cour peut-être, si l’on en croit le célèbre film « Ridicule » réalisé par Patrick Leconte. L’un des co-présidents de la FCPE, cette association de parents d’élèves très proche des statuquologues et dont les adhérents les plus militants sont des professeurs (certes, ils ont le droit d’avoir des enfants !), ne manque pas une occasion de répéter des contre-vérités qu’emploient certains syndicats enseignants. Je vous laisse le soin de trouver lesquels, ce n’est pas trop difficile ! La base de son argumentation reprend l’affirmation selon laquelle « le problème récurrent et structurel de l’Éducation nationale depuis des dizaines d’années est la baisse de ses effectifs d’enseignants ».

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Or cet argument souvent répété est faux : les données sont claires : 1,055 million de personnes en 2011 ; 1,088 en 2015 et 1,174 en 2019. C’est cela une baisse récurrente ? De plus, sans être un spécialiste de macro-économie[2], pour assurer le dédoublement des classes il n’est pas envisageable de doubler les postes ! Ce slogan éculé, « des postes, des postes, des postes ! » est un peu court. Or, c’est le seul commentaire pédagogique des statuquologues ! Il cherche à esquiver toute discussion sur ce registre où ils sont mal à l’aise, et ils tentent de faire de la pédagogie le « tiers exclus » de l’école. Encore plus étonnant de la part de ce responsable national : alors qu’il représente une fédération de parents d’élèves et que ces derniers, on le sait, se sont beaucoup impliqués pendant le confinement, il considère que cette période ne fut pas éducative et pédagogique en raison de leur « non-investissement massif ». Ce fut même un « cauchemar », dit-il, car « à la maison, les enfants sont livrés à eux-mêmes ». Chez lui peut-être ? Merci pour les parents qui, en le lisant, doivent s’étrangler ! Le numéro 169 de la revue Administration & éducation montre le contraire. Ce n’est donc qu’un propos de statuquologues servilement répété par quelqu’un qui ne craint pas le ridicule. Pour lui, comme pour Trump, plus c’est gros, mieux c’est ! Cela évite d’avoir à penser !


Notes de l'auteur

[1] 80 millions pour Biden

[2] Le budget de l’Éducation nationale, le plus élevé des budgets de l’État, est déjà supérieur au montant de l’impôt sur le revenu ! Qui, réellement, voudrait le doubler ? Les statuquologues ne disent jamais que si nous avons 12,5 millions d’élèves, nous en avions plus de 13 millions il y a quelques années, conséquence de la baisse de la natalité. Sans vouloir en rajouter, cette année le premier degré a perdu 87 000 élèves, mais les effectifs du privé hors contrat ont augmenté de 50 000. Pour le second degré, la baisse est de 11 000 alors que les élèves de l’enseignement privé ont augmenté de 3 000. Mais chut ! Il n’est pas de bon ton de le dire !!

Les jeunes faces aux cours à distance

La MAIF, que l’on ne peut pas soupçonner d’être mal intentionnée vis-à-vis de l’école, a lancé une riche étude sur les jeunes face aux cours à distance. Des travaux universitaires, plus académiques, vont suivre car c’est un sujet inespéré pour des recherches. Comme toujours dans ce genre d’enquête, les résultats sont plus nuancés que les a priori idéologiques divers. Par exemple, sur certains points je m’attendais à des chiffres plus faibles et sur d’autres, plus élevés. Je vous laisse juger ce qu’il en est pour vous.

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82% des jeunes interrogés ont suivi les cours pendant le confinement et 65% ont trouvé leurs outils adaptés. 50% ont eu avec leurs enseignants des échanges « comme d’habitude » ou « plus que d’habitude ».

Principaux problèmes rencontrés : la connexion pour 71% des jeunes et des plateformes inadaptées pour 25% d’entre eux. À la question : « souhaites-tu que cela continue ? » : 34% répondent plus jamais, 49% le voudraient pour une partie du temps[1] et 17% en permanence toute l’année. De plus, 58% considèrent qu’ils ont gagné en autonomie. La continuité pédagogique a été assurée à la fois par 89% des parents et par 80% des enseignants, chiffres qui témoignent d’une forte mobilisation des familles et des enseignants. Enfin, 68% des professeurs voient en plus pour les élèves des gains en compétences numériques et en autonomie mais pas nécessairement pour les apprentissages fondamentaux.

Observons que furent ici mesurés les effets d’une très courte période d’enseignement à distance (deux mois) et surtout qui n’avait été préparée par personne. Je trouverais intéressant que la même enquête soit reconduite dans quelques mois afin de voir en quel sens se font les évolutions.

Lors des récents États généraux du numérique, il a été confirmé que le numérique était devenu incontournable, bien qu’il soit encore très mal maîtrisé et son efficacité non avérée. Évitons tout déni des réalités : son problème principal tient au fait qu’il représente pour les enseignants une rupture avec des certitudes pédagogiques fortement ancrées donc paralysantes et un accroissement de leur charge de travail, avec une toute autre organisation à imaginer, ce qui va donner du grain à moudre aux statuquologues un peu en panne de revendications autres que sanitaires à l’heure actuelle. Selon les États généraux, le numérique aurait eu un impact négatif pour 46% des enseignants interrogées dans le primaire et pour 62% dans le secondaire ; cet écart serait le résultat d’une implication différente pendant la phase de confinement[2]. Qui peut en être surpris ?

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Durant cette période, 65% des enseignants du primaire considèrent avoir changé de métier et 73% de ceux du secondaire. Ces chiffres font réfléchir. Pour apporter des améliorations significatives à cette situation vient d’être décidé un « Plan de relance » de 250 millions d’euros qui prévoit de recruter 4000 conseillers numériques pour accompagner la population française qui souffre d’illectronisme, dont 1000 dès le premier trimestre 2021.


Notes de l'auteur

[1] On frise le plébiscite pour l’école hybride !

[2] Comme nous l’avons dépeint et expliqué dans nos premières chroniques librement accessibles sur les sites d’Horizons publics : https://www.horizonspublics.fr/ , de la Mission laïque française, https://www.mlfmonde.org/ ; d’Éducation & Devenir, https://www.educationetdevenir.net/. d’Aprèsprof https://www.apresprof.org/blog-de-apres-prof/ sur LinkedIn et sur plusieurs sites francophones

Les bons comptes font les bons amis

Les propos que le ministre voudrait rassurants reposent sur des données qui font état d’un petit nombre d’élèves atteints par la Covid, nombre qui n’augmenterait pas. Pourtant, il n’en est pas de même de celles du ministère de la santé, 7 à 13 fois supérieures et, elles, en rapide augmentation. Par exemple, le 3 novembre, le chiffre mis en lumière par l’Éducation nationale était de 3 500 élèves concernés, vraiment peu, alors que le ministère de la santé parlait d’une « réelle explosion » et évoquait 25 000 cas ; les nombres, entre fin octobre et début novembre, ont été multipliés par trois et augmentent encore. Bien sûr, les deux ministères ne dénombrent pas les mêmes choses. Tributaire de ce que font remonter les établissements scolaires qui ne peuvent que compter les absents et n’ont pas accès aux problèmes de santé des élèves, le ministère de l’Éducation nationale doit se contenter de comptabiliser ce qui lui parvient.

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Pour suivre l’évolution de cette épidémie, les données du ministère de la santé semblent donc avoir un grand intérêt car les bons comptes font les bons amis !

Crise sanitaire : l’innovation n’est pas que pédagogique !

Malgré la fatigue générale des chefs d’établissement, des directeurs d’écoles, des enseignants et CPE et dans un climat tendu, la grève lancée par des syndicats le 9 novembre fut très peu suivie ; en revanche, quelques nouveautés sont apparues Par exemple des parents refusent les masques pour leurs enfants, lancent une « grève des parents », déposent des plaintes contre l’Éducation nationale, des mains courantes et même des recours en Conseil d’État. Récemment un « droit de retrait des parents » vient de sortir ! C’est la preuve que la Covid-19 libère les imaginations. J’espère qu’il en est de même pour l’imagination pédagogique !

La poursuite du pilotage par bimestres

Ce pilotage se fait depuis mars dernier. On pourrait dire qu’il est entré dans les mœurs, facilité par les nombreuses et longues vacances scolaires. Par exemple le Bulletin officiel du 12 novembre présente un texte de plusieurs pages de recommandations sanitaires qui ne s’appliquent que jusqu’à Noël. On a même découvert le pilotage par quinzaine : toujours le 12 novembre, le Premier ministre a déclaré : « on ne change rien au moins pour les 15 prochains jours ». On a ainsi franchi un cap politique – puisque les annonces majeures émanent du Premier ministre et non plus du ministre -, alors que, curieusement, se réduit l’horizon temporel qui passe du bimestre à la quinzaine.

Il faudra bien en revenir à des réflexions sur le temps long, voire très long (décrire l’école dont nous rêvons pour le futur) et les étapes pour y aller. Le Premier ministre lui-même vient de dire qu’il voulait penser à long terme. Alors, faisons le tous car, nous dit Alain Boissinot, il est nécessaire de « revenir sur des évidences trompeuses qui ne sont que des habitudes », d’où la nécessité de « se saisir d’une situation inédite pour donner un visage nouveau à la continuité pédagogique ». En somme, « vive la crise » pour nous ouvrir les yeux et nous faire sortir de nos ornières ! Soyons indulgents envers le ridicule des statuquologues qui, en mars dernier, voyaient pour mai 2020 le retour à l’école d’avant ! Ils ne se seront trompés, au mieux, que de dix-huit mois. Mais il faut aussi penser le court terme et réfléchir aux pistes pour que le prochain déconfinement, quand il viendra un jour, soit plus efficace que le précédent, tout en se préparant à faire face aux vagues suivantes qui seront sans doute d’ampleur moindre car plus vite maitrisées. Nous apprenons de nos expériences et surtout de nos erreurs, à condition de ne pas refaire les mêmes.

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Les plans d’accompagnement pédagogique en lycée

Ces plans sont la nouveauté de début novembre. Ils furent très rapidement mis en place dans chaque académie à la demande des recteurs qui mobilisent sur ce sujet les inspecteurs pédagogiques du second degré pour écrire des vade-mecum. Bien qu’ils fassent rarement état de la prévention du décrochage, des publics fragiles, des primo-arrivants ou de l’inclusion, en quelques jours à peine, un grand nombre de tels plans ont été validés par les rectorats.

En général, rien de précis n’indique par qui et comment seront assurés les enseignements à distance là où ces plans en prévoient – et ils sont nombreux. Les problèmes d’ingénierie pédagogique sont très souvent esquivés. Faut-il s’en étonner ? Pour le futur on sent le besoin de travailler sur des solutions moins improvisées et plus durables, surtout si de gros collèges obtiennent à leur tour de dédoubler des groupes puisque certains font grève dans ce but.

Chaque académie a fait ce travail à sa façon ; il règne une grande diversité encouragée par les pouvoirs publics, entre académies et au sein de chacune. Il n’y a plus d’uniformité, même pour l’année de préparation du baccalauréat. Seule consigne : l’enseignement à distance ne doit pas dépasser 50% du temps des élèves. En pratique il serait souvent de l’ordre de 30% (c’est le cas avec le scénario par niveaux) et l’on ne sait pas encore précisément qui l’assure, des enquêtes à venir nous le diront. Les demi-groupes d’élèves qui ne bénéficient pas d’enseignement à distance sont considérés « en autonomie » (un bel euphémisme !), donc sous l’entière responsabilité pédagogique de leurs parents pendant ce temps-là. Des académies, comme celle de Nancy, ont publié un document présentant des exemples d’organisations hybrides. Dans l’académie de Poitiers, a été recommandé la formule par niveau qui fait que chaque élève est en présentiel les deux tiers de son temps (quid du reste ? Mystère !).

À Lyon, plusieurs formules sont possibles dont celle à la demi-journée ou par demi-semaines ou encore une semaine sur deux en présentiel, ou encore…. En Auvergne, un gros lycée accueille en présentiel toutes les classes de terminales et à 50% seulement les classes de première et de seconde. À Dijon, 40 lycées sont passés en mode hybride, en pratiquant des amorces d’ingénierie pédagogique pour distinguer ce qui est le plus facile à enseigner à distance. Outre les outils mis à la disposition des établissements et des enseignants par les pouvoirs publics, apparaissent les premiers « kits d’enseignement hybride », signe que le marché (public et privé), très réactif, existe désormais. La demande des élèves et des familles est d’aller vers des plateformes plus faciles d’accès, plus ludiques, proches de celles qu’ils utilisent au quotidien pour communiquer entre eux, plus collaboratives et plus efficaces que Pronote par exemple.

Pilotage du système éducatif : un premier bilan…

Même s’il est bien trop tôt pour commencer à faire le bilan d’une crise loin d’être achevée, par bribes des éléments apparaissent en France et ailleurs. Par exemple, cette période inédite a provoqué un net recul de l’équité et de l’inclusion au sein des systèmes éducatifs. C’est le point le plus notable et regrettable. Notons toutefois qu’en Asie, les pays qui étaient prêts ont pu procéder à une véritable et profitable expérimentation à grande échelle et ont moins souffert. Pour les autres, comme chez nous, l’empirisme total s’est trouvé soudainement au pouvoir. Difficile donc d’en tirer de vraies leçons, si ce n’est qu’il est préférable d’anticiper. Néanmoins le système s’est montré résilient.

Mon ami Jean-Marie de Ketele m’a transmis des éléments de deux récentes recherches menées en Flandre, par l’université de Louvain. Selon ce spécialiste de l’évaluation, les éléments négatifs relevés devraient être encore plus marqués en Wallonie où la population est d’un niveau économique moins élevé qu’en Flandre. Selon ces recherches les élèves accusent un retard moyen de 6 mois, avec beaucoup plus d’inégalités que les années précédentes. Il y a eu une importante fracture numérique chez les enseignants. On note la perte d’une partie de la classe, avec une baisse progressive de la motivation des élèves. Ces derniers se sont montrés habiles avec le numérique ludique et de communication, mais pas avec le numérique censé faciliter leurs apprentissages, ni même pour des compétences numériques de base comme l’envoi de mails et surtout de documents joints. Certes, c’était une situation soudaine et non préparée, mais pour d’autres périodes de ce type qui viendraient, comment ces effets négatifs peuvent-ils être atténués ? De semblables recherches ne manqueront pas d’être menées en France pour nous éclairer.

Dans l’Hexagone, que disent les premières évaluations nationales ? Assez complexes, leurs résultats demanderont une analyse fine des spécialistes. Elles confirment déjà la montée des inégalités, en particulier que se creusent les écarts entre les élèves scolarisés en Rep ou vivant dans la précarité avec les autres, effets observables dès le cours préparatoire. Ces évaluation révèlent même une forte hausse des résultats dans les collèges les plus favorisés. Principale difficulté pour les évaluations : les apprentissages des élèves se font sur des temps longs de plusieurs années, alors que la crise et ses effets portent sur une durée de quelques mois à peine. Il semblerait qu’elle aurait eu un faible impact sur le primaire (même en Rep ?), puisque l’on observe un maintient du niveau en début de 6e. La forte implication des enseignants du primaire déjà relevée dans mes chroniques explique sans doute ce fait.

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Si, comme d’aucuns le pensent, il faut détruire pour innover, la Covid-19 s’en est chargée et ouvre le champ des possibles. Les expérimentations sont stimulantes, mais pas pour toutes ; elles supposent que soit bien intégré le droit à l’erreur et que soient pratiqués des retours d’expériences, des « retex » comme disent les gens branchés ! L’enseignement privé s’est organisé depuis le printemps dernier pour faciliter la mise en réseau des initiatives pédagogiques ; hélas, on ne discerne rien de tel dans l’enseignement public et je le regrette.

En France, seulement 92% des familles aisées avaient un ordinateur (je suis surpris que cela ne soit pas 100% ; l’obstacle n’est donc pas économique) et 64% des familles populaires en possèdent un, ce qui montre l’importance qu’elles accordent au numérique ; je craignais que ce soit moins. Selon une récente enquête, 25% des enseignants se sont avérés aguerris, autant se sont montrés totalement rétifs et la moitié étaient circonspects, tâtonnants, silencieux, attentistes. Il va falloir en tenir compte en termes de développement professionnel.

Dans la lutte contre le décrochage et l’appui pour l’accompagnement des élèves, sur temps scolaire ou extrascolaire, le rôle de très nombreuses associations[1] est essentiel et semble dans cette longue période un peu oublié par les pouvoirs organisateurs que sont l’État et les collectivités territoriales. Les associations disent avoir beaucoup de difficulté à travailler avec l’Éducation nationale. Cela ne peut pas être durable, sauf au détriment des enfants.

Il y a des effets imprévus de la crise comme le contrôle continu des connaissances qui a fait une entrée en force et par la grande porte. Cet effet sera-t-il durable ? Si oui, jusqu’à quel point ? On voit poindre le problème des examens, en particulier le baccalauréat 2021.

Au niveau international fleurissent les webinaires consacrés à la pédagogie pour pratiquer de l’enseignement hybride ou à distance. Ils attirent des centaines de participants. Le Canada, toujours en pointe en la matière,[2] a sollicité d’un groupe de recherche interuniversitaire une banque de ressources pour guider l’évaluation réalisée à distance

À la suite de cette déjà longue période depuis le mois de mars, Jean-Michel Blanquer semble satisfait puisqu’il déclare que « l’Éducation nationale ne mérite plus le qualificatif de pachyderme préhistorique[3] mais devient une institution agile et souple, capable d’avoir une vision personnalisée de la vie professionnelle de chacun de ses membres ». C’est beau comme un camion ! On aurait donc « démammouthisé » l’Éducation nationale ? Je dois rêver !


Notes de l'auteur

[1] Comme l’AFDET

[2] Spécial Canada, Administration & éducation, 2020/1, N° 165, Paris, AFAE.

[3] J’espère que Bernard Toulemonde, le père de la métaphore du « mammouth » que lui emprunta Claude Allègre avec le succès que l’on sait, nous fera part de ses commentaires.

Article du Recteur Alain Bouvier Professeur associé à l’université de Sherbrooke

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