L’enseignement français à l’étranger (EFE) ne se développera pas sans une gouvernance adaptée à l’international
Dans une tribune pour l'AFAE, Jean-Christophe Deberre, ancien directeur général de la Mlf, revient sur l'importance de réévaluer la gouvernance de l'enseignement français à l'étranger sous les principes d'équité, de solidarité et de liberté.
L’enseignement français à l’étranger (EFE), selon sa dénomination
commune, contribue à la politique d’influence extérieure de l’État, qui s’est fixé l’objectif de doubler ses effectifs scolarisés d’ici 2030, dans un environnement mondial beaucoup moins favorable que celui qui l’a porté depuis plus d’un siècle.
La crise sanitaire impose à l’école des changements durables. Après le
meurtre de l’un de ses professeurs, le message laïque de l’école française
est interrogé. À l’extérieur, du fait des conséquences de la pandémie,
celle-ci va traverser un épisode financier délicat, qui ne sera pas sans
conséquences sur cet enseignement payant et maintenant talonné par la
concurrence. Ces faits ne sont pas seulement conjoncturels, ils ont une
résonance profonde sur un système dont le développement s’appuie sur
une majorité d’opérateurs privés.
L’illustration de la « puissance éducative française » [1] n’ira pas sans
réévaluer le projet que porte l’EFE : le postulat universaliste qui le précède,
les contenus qu’il transmet, l’organisation qui le porte.
Aux trois termes de la devise républicaine qui fondent l’école nationale pourraient se substituer les principes de liberté, équité, solidarité, pour définir une école française internationale fidèle
L’EFE, un partenariat scolaire public-privé
L’enseignement français à l’étranger est un ensemble composite, un élément de politique publique, une valeur française. Il n’a pas d’équivalent, hormis son pendant culturel réparti entre instituts et alliances françaises [2].
Cet ensemble comprend 522 établissements répartis dans 139 pays ; il accueille 370000 élèves dont les deux tiers désormais non français.
Quand il les juge conformes au modèle français, ces écoles, collèges, lycées sont dits « homologués » par le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse (MENJ) ; ils ont alors accès à des services administratifs, pédagogiques et financiers, en partie délivrés par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) opérateur public coordonnateur [3] et délégataire pour le compte de l’État des moyens votés au budget pour l’EFE.
70 de ces établissements, créés par l’État, ont été confiés en gestion directe à l’AEFE, créée en 1990. Le reste, les établissements dits « partenaires », sont des organismes privés, qui peuvent relever d’associations. Parmi ces derniers, 150 sont liés par convention avec l’AEFE, dont ils reçoivent des moyens publics, principalement un nombre variable de professeurs détachés du MENJ ; ils participent toutefois significativement à leur rémunération sur leur budget propre, principalement alimenté par les droits de scolarité acquittés par les familles.
Les 300 établissements partenaires restants ne reçoivent pas de moyens publics directs, mais bénéficient comme tous les autres de la formation continue des enseignants, de l’accès pour leurs élèves aux examens nationaux hors de France, des bourses aux enfants français et des bourses d’excellence pour les meilleurs élèves de chaque promotion de la classe de terminale, quelle que soit leur nationalité ; tous ces services sont à la diligence de l’AEFE, qui là encore recouvre en contrepartie sur les établissements des contributions assises sur le montant des droits de scolarité perçus localement.
Vaste partenariat public-privé (PPP) en éducation, L’EFE repose sur un contrat : les établissements partenaires font du programme scolaire français dans leurs pays d’appartenance leur marque ou l’une de leurs marques [4] ; en retour l’État les reconnaît et leur adresse les services liés à la mise en œuvre de ce programme et à sa certification.
Le « soft power » éducatif français s’appuie donc majoritairement sur des opérateurs privés qui prennent le risque d’assumer le rayonnement de l’école française parce qu’ils y voient une valeur ; et ils le font avec leurs moyens propres, soit parce que c’est leur raison d’être [5], soit parce qu’ils en attendent un retour symbolique ou financier [6].
Le Président de la République, dans un discours prononcé à l’Académie française en mars 2018, soulignait la place de ces opérateurs dans le développement voulu pour l’EFE qu’il comprenait comme l’un des engagements de la France pour la francophonie.
Le MENJ procure à l’enseignement français hors de France le programme, les fonctionnaires détachés, les ressources pédagogiques de ses grands établissements et des académies, l’organisation des examens, autant dire sa raison d’être. Si le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) pilote la présence de l’EFE dans le monde, le MENJ est partout le gardien de sa valeur.
Dans les critères d’appréciation de son public sur l’EFE entrent sa qualité [7], son coût, plus modeste que celui d’autres offres internationales notamment anglo-saxonnes [8], son image dans la société du pays d’accueil, la garantie de l’État, à laquelle les parents, clients et juges de la qualité de l’école sont très sensibles, même si une accréditation administrative ne fait pas seule le marché.
L’investissement éducatif appelle une anticipation solidement étayée parce que les choix d’aujourd’hui engagent à l’échelle de deux générations d’élèves au moins.
C’est pourquoi il appartient à l’État d’être bon gardien de la valeur de l’EFE, sur la base d’éléments d’appréciation fiables et comparables.
Cette question est devenue plus aiguë avec l’objectif programmé de doublement des effectifs. En effet, la cartographie de cet enseignement est complexe : il est loin d’être spontanément demandé ou accueilli partout dans le monde, et à l’inverse un risque d’entropie existe dans certains pays qui paraissent plus faciles d’accès pour l’enseignement français [9].
La valeur de l’EFE conjugue celle qu’il hérite de l’histoire nationale et l’efficacité qu’au plan international il doit prouver pour gagner de nouveaux publics.
C’est une graine que l’on plante dans des cultures autres et qui est en responsabilité d’acteurs non étatiques ; elle doit s’adapter et se transformer pour prospérer ; il revient à l’État de le doter d’une organisation en convenance avec les évolutions qu’il a lui-même souhaitées : c’est le sens de l’internationalisation.
2. Les instituts culturels relèvent de la gestion directe de l’État (MEAE), les alliances françaises, du droit des associations ; l’Alliance française a été créée en 1883 pour assurer le rayonnement de la langue et de la culture françaises à l’étranger.
3. Le fait que l’AEFE soit gestionnaire d’établissements et coordonnateur de réseau pose, en matière de répartition des moyens et d’avis porté sur l’activité des établissements et leur homologation, la question de la neutralité de l’opérateur, nécessairement placée en situation de juge et partie.
4. Un certain nombre d’établissements de l’EFE proposent simultanément deux ou trois programmes, notamment aux États-Unis où le programme français fait partie d’une offre comprenant en même temps le programme de l’État d’accueil mais aussi de plus en plus souvent celui du baccalauréat international (IB). La pluralité de l’offre exclut parfois la spécialisation du corps professoral dans un seul des programmes, ce que la procédure de l’homologation devrait prendre en compte. L’attraction du système universitaire nord-américain augmente la valeur attribuée à l’IB et érode l’attractivité de l’enseignement français dont un certain nombre d’élèves se détournent en fin de collège.
5. C’est le cas des établissements relevant des ordres religieux au Liban, ou d’associations laïques comme la Mission laïque française et l’Association franco libanaise pour l’éducation et la culture (AFLEC), relevant de la loi 1901 sur le droit des associations.
6. Cette question croise un débat inabouti sur l’un des critères de l’homologation des établissements d’enseignement français hors de France, selon qu’on les limite à ceux qui sont à but non lucratif ou qu’on admet désormais officiellement que l’EFE est ouvert à ceux qui font du profit.
7. Pour son public, la réputation internationale de l’EFE est particulièrement tributaire de la qualité de son corps enseignant et de l’appréciation que portent sur son cursus les universités non françaises.
8. Le coût moyen mondial de l’EFE se situe autour de 5000 euros/élève/an – soit la moitié du coût d’une scolarité française –, mis à part certaines zones géographiques comme l’Amérique du nord, où le coût est au minimum trois fois supérieur à ce coût moyen.
9. La cartographie du développement de l’EFE montre de profonds déséquilibres : la Chine, l’Inde, nations les plus peuplées du monde, offrent peu de perspectives à l’EFE, et au contraire, le Liban offre l’exemple du plus grand nombre d’établissements de l’EFE rapporté au nombre d’habitants
Équité
L’école nationale devait être le creuset de l’égalité entre les citoyens ; cet objectif n’a pas de sens hors des frontières, d’autant que, globalement, l’EFE scolarise des publics socialement plutôt aisés [10].
Si l’égalité ne peut être l’horizon de l’EFE, sa crédibilité et sa cohésion ont beaucoup à voir en revanche avec l’équité, c’est-à-dire la façon dont l’État veillera à traiter de façon aussi juste que possible tous les élèves qui le fréquentent.
L’histoire de ce système particulier croise une intention sociale ; elle décidait, il y a 30 ans, de la création d’un opérateur public chargé des établissements auparavant gérés directement par l’État. Il s’agissait de sécuriser la rémunération des professeurs titulaires détachés en l’alignant sur celle de leurs collègues en France. L’AEFE s’est d’abord construite sur un principe d’équité pour cette seule catégorie de personnels, et comme une agence de moyens pour en gérer les conséquences.
Mais cette disposition a eu pour effet de créer une école française à plusieurs vitesses [11], la subvention publique étant principalement fléchée vers les établissements dits en gestion directe (EGD) de l’AEFE.
Cette distorsion ne devrait plus se justifier puisque la gouvernance de l’EFE exige désormais contractuellement de tous les opérateurs qu’ils s’engagent à servir aux fonctionnaires détachés de l’État un salaire au moins égal à celui qu’ils recevraient en France, et que les personnels détachés se plient aux règles de mobilité décidées par le MENJ.
Cette normalisation ouvre de nouvelles pistes de réallocation de la subvention publique, puisque l’État pourrait en principe s’affranchir d’une partie de cette charge budgétaire directe.
Mais les effets produits en seront d’autant plus lents que le système, transposé de France, a de fortes inerties, corporatistes et clientélistes [12].
L’équité à rechercher immédiatement revient donc à la question suivante : les effets produits sont-ils proportionnels aux moyens publics investis, et comment justifier que des modèles économiques diamétralement opposés produisent des résultats apparemment identiques ?
Actuellement, l’homologation détermine la liste des établissements annuellement reconnus par l’État sur la base de leur seule conformité au programme français.
Elle peut être retirée en cas de manquement mais ne constitue pas une évaluation qui permettrait de déterminer ce qui produit la qualité de l’enseignement et comment.
Car avec des publics souvent plus homogènes socialement qu’en France, tous les établissements obtiennent étonnamment à peu près les mêmes excellents résultats au baccalauréat, indépendamment des moyens investis et notamment du nombre de professeurs détachés qu’ils emploient. De plus, le baccalauréat est loin de résumer les indicateurs qui caractérisent la valeur ajoutée d’un établissement au service des élèves et de leur réussite. Car même s’il reste le passeport nécessaire pour l’entrée dans le supérieur, cet examen tend à devenir un certificat de fin du secondaire, les universités, autonomes, ayant leurs propres critères de lecture des dossiers de candidatures.
Il est nécessaire de construire le regard sur un système dont la réputation est liée aux facilités d’accès de ses lauréats à d’autres systèmes universitaires que français ou francophones. Comme toujours, le scolaire est piloté par le supérieur.
Par conséquent, autant, et sans doute plus encore que le système scolaire national qui s’y engage lui-même, la gestion de l’EFE appelle un mécanisme d’évaluation transparent, indépendant et participatif, pour créer avec les établissements d’une part, les universités de l’autre, les conditions d’une relation objective, confiante, dynamique.
Il devra ainsi et en ce sens le faire selon les trois séries pratiquées de programmes français, national voire international conformément à son ambition de construire chez les élèves, à partir du programme français, une culture internationale [13].
Évaluer, c’est aussi substituer au pilotage actuel par une politique de l’offre et d’allocation figée des moyens, une gouvernance dynamique par le contrat et par les résultats, sur des critères lisibles selon les normes internationales. C’est une révolution de point de vue. Elle concerne d’une part l’appréciation de ce qu’apporte réellement un établissement aux performances de ses élèves en tenant compte de leur profil social, d’autre part la politique des ressources humaines dans l’EFE [14], essentielle par son impact sur ces résultats [15].
Il s’agit ici de la juste répartition des fonctionnaires détachés du MENJ, dont la cartographie devrait accompagner le développement de l’EFE selon les besoins effectifs, notamment les formateurs, dont l’efficience [16] sera d’autant plus sensible qu’ils auront eux-mêmes fait l’objet d’une acculturation à l’EFE, qui est une écologie scolaire particulière.
D’autre part, l’AEFE comprend dans ses missions l’organisation d’un service de formation continue pour les enseignants. Ce service se comprend pour aider les établissements à suivre les évolutions du programme français. Mais il est calqué sur l’organisation du système source où l’État est chargé de la formation initiale et en cours d’emploi des personnels.
À l’extérieur, il ne permet pas de faire face au développement d’une école qui doit à la fois repenser tous les métiers de l’éducation en contexte, sensiblement différents de ce qu’ils sont en France, construire un corps enseignant homogène à partir d’acteurs issus d’horizons et de cultures différents, favoriser des aptitudes professionnelles permettant aux établissements de s’adapter à leur environnement, de trouver l’autonomie propice à l’innovation et aux aléas de la conjoncture comme on l’a vu pour le passage soudain en enseignement à distance et hybride ces derniers mois.
Ni l’uniformité ni la seule conformité au modèle français hexagonal ne conviennent pour des établissements privés qui sont d’ailleurs nombreux à chercher librement leurs ressources sur le marché mondial de la formation en éducation [17].
Quant aux parents, la pandémie les a définitivement installés comme coéducateurs ; ils veulent être respectés comme tels et non traités comme contributeurs payants, passifs, au fonctionnement de l’école.
Mieux vaut donc mettre à leur disposition une évaluation indépendante [18] et de niveau international, qui traverse objectivement toute l’activité des établissements, que de laisser libre cours aux opinions, interprétations voire « infox » ou« fake news » qui se répandent sur le coût et l’efficacité de l’école, éternel sujet de controverse.
Au total, ces services fournis par l’État – une évaluation exigeante et de niveau international, une ressource humaine détachée adaptée –, outre qu’ils pèseraient moins sur le budget public, feraient beaucoup pour la réputation du système et l’équité de sa gouvernance, gage éthique d’un développement de réseau fondé sur la confiance entre les parties.
10. Cela ne signifie pas que ce public scolaire ne soit pas mêlé, ni qu’il soit à l’abri des crises, comme on le voit actuellement ; l’État y a d’ailleurs prêté attention en libérant des moyens exceptionnels pour aider à passer les conséquences de la première vague de la pandémie.
11. Un élève d’établissement simplement « partenaire » pèse 35 fois moins qu’un élève d’un EGD au regard de la subvention publique.
12. Malgré les garanties exigées des opérateurs par l’État, et malgré le fait que tous les établissements de l’EFE relèvent principalement du droit local, la méfiance de l’institution éducative française et de beaucoup de personnels pour le privé reste forte, alors même que le pilotage politique et financier de l’EFE en a intégré le principe.
13. Le comité national de l’évaluation de l’école qui se met en place pourrait, si la mission lui en était donnée, être l’instance chargée de l’ingénierie d’évaluation des établissements de l’EFE ; il relierait ainsi les deux parties du système scolaire français en documentant progressivement la spécificité de l’enseignement hors de France et en procurant aux acteurs une image de leurs réalités scolaires dans leur diversité, au regard des normes française et internationales. Car au-delà des clichés, les faits doivent dire ce que sont la spécificité, la capacité à innover et à faire vivre l’enseignement français dans tous ses contextes de mise en œuvre.
14. Les ressources humaines consomment en général près des trois-quarts des ressources budgétaires des établissements
15. Cette question croise celle des cours particuliers, qui tiennent une place considérable et excessive dans l’EFE, entretenus par l’anxiété des parents relative à l’accès de leurs enfants dans l’enseignement supérieur de leur choix, et par l’image qu’ils peuvent avoir du corps enseignant. Ils posent la question de la confiance des parents dans l’école qu’ils ont choisie pour leurs enfants pour sécuriser non pas leur parcours scolaire, mais leur destin universitaire.
16. Cette catégorie de personnels détachés pourrait, avec le corps d’inspection, rester la seule à charge de l’État, étant investie d’un rôle de conseil et de suivi de la qualité des personnels dans leur ensemble, quelles que soient donc leurs catégorie et origine.
17. La création d’instituts régionaux de formation voulue par l’État et confiée à la diligence de l’AEFE devra relayer les instructions du MENJ sur le programme français ; au-delà, il conviendrait d’éviter que la formation qu’ils proposeront soit obligatoire et obligatoirement payante, ce qui implicitement reviendrait à dire qu’elle conditionne l’octroi de l’homologation et assure en même temps les équilibres financiers du système de l’EFE. Cela contredirait tout à la fois la nature d’établissements libres, volontairement engagés dans l’EFE, et qui bénéficient déjà d’une part minime de la subvention publique par rapport aux EGD, rapportée au nombre d’élèves, le développement d’un pilotage par les résultats, non par les moyens, enfin l’essor d’un partenariat public-privé incompatible avec toute forme de monopole.
18. L’évaluation peut être pour partie payante puisqu’elle correspondra, contrairement à ce qui se passe dans le système public français, à une démarche volontaire, permettant aux opérateurs de situer la valeur de leur(s) établissement(s) dans l’offre globale.
Solidarité
L’EFE offre un maillage efficace pour une possible mobilité scolaire dans le monde. S’agit-il pourtant d’un réseau ?
Vertical, prescriptif et centralisé, le pilotage de l’EFE appréhende de façon uniforme la diversité des établissements qui le constituent. Or, partage et confiance au service d’une même qualité devraient être liés dans la mise en œuvre d’un projet scolaire porté par une majorité d’acteurs indépendants, responsables et engagés, directement exposés à la demande internationale et au risque.
La solidarité est une vertu humaniste, fondatrice de la démocratie ; elle signifie que le partage élève ceux qui s’y engagent. Elle dessine un espace d’échange égal entre tous les établissements et leurs personnels, et entre eux et le milieu national qui les accueille ; elle promeut un projet pédagogique fondé sur l’essaimage des expériences, le dialogue avec la recherche ; elle ouvre la voie à l’appropriation par les établissements eux-mêmes de la notion de réseau, collection de réalités scolaires toutes originales.
C’est une valeur potentiellement féconde pour le développement de l’EFE.
En France, la notion de projet d’établissement a longtemps fondé, avec des fortunes diverses, la recherche d’une cohérence de vision et d’action étayée par l’entente entre les acteurs, pour stimuler les établissements.
Hors de France, l’identité et l’autonomie sont le lot d’établissements qui doivent eux- mêmes garantir leur compétitivité. Les aider à construire des équipes pluriculturelles robustes, soutenues par une vision et des méthodes partagées, voilà ce qu’ils attendent de l’État.
La caractéristique principale des établissements dits partenaires, donc la majorité, est l’hétérogénéité de leur corps enseignant, composé d’un nombre décroissant de personnels titulaires détachés rapporté au nombre d’élèves, et donc croissant de personnels recrutés localement.
Ce grand défi devrait être l’occasion pour le système scolaire français de poser les bases d’une coopération : entre les établissements, et entre eux et les systèmes scolaires et les communautés scientifiques des pays qui les accueillent ; car d’un côté, les professeurs venus de France sont peu avertis du contexte culturel et scolaire dans lequel ils interviennent ; de l’autre, beaucoup de leurs collègues nationaux issus de l’université locale sont invités à entrer dans une culture scolaire qui n’est pas celle qui les a formés. Ajoutons à cela qu’un nombre croissant d’établissements de l’EFE propose plusieurs programmes, confiés au même corps enseignant.
C’est par conséquent tout le dispositif de formation qu’il faut penser et bâtir pour construire un corps de personnels adapté, autonome, innovant. Le savoir-faire éducatif français, souvent apprécié, le serait infiniment plus si la formation invitait l’EFE à sortir de sa bulle française pour lui imposer un devoir de partage sur ce qu’est le profil international des professionnels de l’éducation.
Liberté
Former des esprits raisonnables, capables de penser et d’agir par eux- mêmes, épris de liberté et de dignité pour tout le genre humain, contre l’ignorance et l’oppression… Héritée de l’humanisme européen et des Lumières, mais aussi de la Révolution sous la plume de Condorcet, l’école de la République depuis Jules Ferry trouve ici résumée toute sa finalité.
Elle n’est pas la seule dans le monde à poursuivre cet objectif mais son héritage lui impose de l’illustrer chaque jour dans les faits et pas uniquement par les mots.
Depuis la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, ces principes constituent l’horizon de la communauté humaine.
Ils n’ont cependant aucun caractère contraignant pour les États signataires, et ouvrent autant de possibilités à l’interprétation, à la relativisation.
C’est pourquoi la tâche déjà complexe dans la société française de rendre sensible et convaincant dans ses effets le principe de laïcité, pose des questions lourdes pour la transmission du programme français hors de nos frontières.
Si peu de difficultés sont aujourd’hui rapportées sur la réception de cet enseignement, on le doit pour partie à la perspicacité des enseignants, davantage aux prudences, voire à une forme d’inhibition pour éviter les pièges des sensibilités locales.
Fait défaut dans l’EFE une analyse objective des conditions et effets de l’enseignement moral et civique, seul élément programmatique identifié d’une laïcité compréhensive, au sens propre, du contexte d’origine des élèves. Il est essentiel qu’il s’appuie sur des contenus, élaborés à chaque fois que cela est possible en coopération avec la communauté scientifique des pays d’accueil pour rendre sensibles aux jeunes l’histoire du fait religieux dans ses dimensions historiques, géographiques, philosophiques, éveiller les consciences à la diversité des cultures, des droits et des réalités humaines, dans le strict respect de chacun des élèves et du droit local…
Négliger cette mission serait banaliser le programme français.
Toutes les disciplines sont bien sûr impliquées dans la construction de l’esprit critique : une pédagogie laïque en acte donne à voir aux élèves le but de l’enseignement qu’ils reçoivent.
Hors de France, son devoir est d’accueillir le tout jeune enfant dans sa langue et sa culture d’origine pour en faire la base d’une culture internationale grâce à l’apport français .
Certes, les publics scolaires sont mêlés mais justement, leur diversité est ferment d’avenir : le bilinguisme dès l’entrée en maternelle, porte d’entrée du plurilinguisme, une ouverture du programme à des contenus locaux empruntés à la philosophie, aux sciences humaines et sciences en général comme facteurs de comparaison et de valorisation des modes de pensée nationaux et régionaux, une pratique de l’interdisciplinarité ouvrant la porte du complexe…
Le programme français doit à l’extérieur contribuer à faire partager la pensée des sociétés qui ont adopté ou fréquentent la langue française [19]. Être un passeur entre les cultures, voilà un vrai projet pour l’EFE.
Tout, de nouveau, part des hommes et des femmes qui transmettent et accompagnent.
Il ne s’agit plus seulement de former, encore moins de formater, mais de forger un savoir-faire commun à l’accueil de cultures différentes.
L’interculturel que l’on invoque couramment traite de façon théorique ce qui est de l’ordre de l’histoire et des consciences, dont dépend pourtant l’avenir de milliers d’élèves. Cette rencontre ne peut être laissée au hasard des volontés individuelles, si l’on veut pouvoir dépasser les préjugés, les ignorances, les supériorités et leurs contraires.
Car, bien que ces temps soient révolus, la genèse de l’école de la République est contemporaine de l’entreprise coloniale. Il en reste des traces, principalement là où la langue française est langue officielle ou dominante, dans l’organisation des établissements[20], les contenus, une hiérarchie entre langues, cultures, catégories de personnels, alors que tout et tous concourent au même but.
De surcroît, le principe d’universalité qui guidait l’EFE ne se décrète plus dans un monde où les souverainismes, le retour du religieux, la labilité de l’opinion et de la communication invitent plutôt à retisser par l’éducation les principes d’un cosmopolitisme accueillant et respectueux de la diversité. Nos principes, déjà discutés dans l’espace national, ne constituent plus un « récit » immédiatement recevable à l’extérieur.
L’ambition que l’on assigne à la langue et la culture françaises, portées par un réseau scolaire international, ne peut donc ignorer la fondation, par le développement professionnel de toutes les catégories de personnels sans exception, d’une éthique collective du partage et du dialogue, du respect et de la valorisation de l’autre.
19. La réflexion ouverte sur un baccalauréat français international, qui, à partir de l’architecture du baccalauréat national réformé, permettrait d’en décliner des formules adaptées aux géographies du monde offre de ce point de vue de nouvelles perspectives.
20. Notamment administrative : un établissement de profil international peut-il de façon crédible et efficace n’être dirigé et animé que par les représentants du seul corps de direction français ?
Conclusion
Les défis sont là :
- progression continue,
- réputation du modèle international (IB) porté par l’usage de l’anglais et adopté par les grands systèmes nationaux nord-américains et asiatiques[21] ;
- prégnance des critères d’accès à l’enseignement supérieur dominant, donc d’inspiration britannique et américain ;
- montée en puissance des systèmes d’accréditation qui les accompagnent;
- exigence croissante de la demande sociale, et d’une organisation qui reconnaisse aux parents un rôle accru.
Doit y répondre une vision réarticulée et forte d’un modèle scolaire français promoteur de la diversité culturelle et linguistique à partir du français, portée par une gouvernance de l’EFE équitable, solidaire, appuyée sur les acteurs locaux et donc facteur d’initiative, de respect et de responsabilité pour tous : professionnels, élèves, parents, car ce sont eux qui donnent à l’EFE sa légitimité et sa vigueur.
Un mode contractuel précis et respecté par tous les acteurs, une évaluation aux normes internationales permettant de montrer la valeur de chaque établissement doivent en être le cadre et la boussole pour les publics, les universités, l’État, les professionnels qui l’animent. Ce projet n’est pas seulement pédagogique, il est d’abord politique.
Changeons de point de vue, regardons le monde simultanément depuis la France et surtout depuis l’extérieur : que l’EFE devienne enseignement français international pour grandir encore.
21. 1200000 jeunes de 3 à 19 ans sont scolarisés sur ce modèle.
Article de Jean-Christophe DEBERRE Ex-directeur général de la Mission laïque française et de l’Office scolaire universitaire international (OSUI), consultant, poir le numéro 170 de l’AFAE
Du même auteur :
- Un partage des cultures au service de l’éducation
- Pédagogie laïque, école de la dignité.
- Le développement professionnel, levier d’une pédagogie laïque efficace
- « L’école c’est la véritable “banque” du Liban de demain »
- Ecole à distance : entre fracture numérique et factures sociales
- Les lycées de l’étranger, une valeur culturelle française à soutenir dans la mondialisation