L’école de demain devra tirer les leçons de l’école à distance et du temps de crise et remettre en question son rapport à l’équité et à la diversité. Une tribune de Jean-Christophe Deberre, directeur général de la Mlf
Quand l’hôpital poussait les murs pour faire face à la pandémie, notre système scolaire, plutôt réputé lent et lourd, n’était pas en reste. Le mot d’ordre de la « continuité pédagogique » s’est imposé, même si une ambiguïté est très vite apparue: s’agissait-il de continuer le programme à distance, ou d’éviter que le confinement ne fasse régresser les élèves dans leurs apprentissages ? L’organisation des examens a donné la réponse. Par souci légitime d’équité, l’école du temps de crise sera une longue parenthèse dans un temps de formation pourtant précieux.
L’école française n’est pas la seule dans ce cas. Mais pour l’après, il n’est pas inutile de questionner la triple difficulté que la crise sanitaire révèle de sa conception et de son organisation : son rapport au temps, à l’équité et à la diversité.
Comment l’école a oublié l’enfant
Les systèmes scolaires sont des horloges qui scandent le temps sans dire ce qu’ils en font vraiment. Ils le comptent d’une façon si maniaque qu’on aimerait croire qu’elle procède d’une parfaite maîtrise du fonctionnement du cerveau de l’enfant. L’apport des neurosciences à la compréhension des apprentissages ne fait au contraire que confirmer ce que l’on pense depuis longtemps sans pourtant que rien change : chaque enfant est une personne qui apprend au rythme de son corps, de ses émotions, de son esprit qui s’éveille, de son environnement.
Notre école est le produit historique d’une industrialisation nécessaire des apprentissages (effets de masse) et des moyens publics et privés puisque les deux systèmes coexistent. Le problème est que le temps social, institutionnel, corporatiste a fini par avoir raison du temps de l’enfant d’un côté mais aussi du temps de la nation, laquelle doit ensuite récupérer les perdus du système, inventer dans les marges des palliatifs à ce qui ne s’apprend pas en classe, quand ce ne sont pas les familles qui paient des cours particuliers, la plaie de l’école française chez elle et à l’extérieur. L’école se fonde sur des règles collectives, rien de plus normal, mais son organisation doit entrer dans le temps de l’enfant pour qu’il entre dans le désir des apprentissages.
Les comparaisons internationales montrent que l’inéquité n’est pas la fatalité d’une école de masse ; c’est le révélateur d’un rapport difficile à la diversité. On sait de longue date que la réussite scolaire relève en partie d’un délit d’initiés, privilégiant ceux qui en ont percé à jour le fonctionnement. Elle est aussi étroitement liée à l’origine sociale et la motivation dont les élèves sont porteurs, ce qui explique pour une bonne part les succès de cet enseignement à l’étranger.
L’écran de l’école à distance est à la fois transparence et obstacle : il crée une immédiateté et une individualisation positives dans la relation pédagogique, d’où le taux plutôt élevé de satisfaction relevé. Mais les silences des décrocheurs n’en sont que plus assourdissants : ici et là manques d’équipements, de connexion, de motivation, l’obligation scolaire ne jouant plus, désarroi des parents devant l’école maternelle à distance ; et n’oublions pas ceux qui ne parviennent pas à suivre une école qui leur est étrangère en France, et même hors de France où les non francophones vivent mal le fait de ne rien comprendre à l’école de leurs enfants.
Toutes ces souffrances sont coûteuses en termes d’image et d’efficacité. A l’issue de cette crise, comprenons que l’école ne peut plus être l’affaire de l’école seule dans sa bulle ; des parents accueillis, initiés, désinhibés, formés eux aussi et engagés dans les apprentissages de leurs enfants feront plus pour l’équité qu’une égalité de principe, qu’une école « sachante », mais sans eux. Cela va bien au-delà de la communication, c’est de coopération qu’il s’agit.
Ecole à distance : remettre l’élève au cœur des apprentissages
Tous les enseignants se sont lancés dans la télé-école ; on a souligné à juste titre leur mérite, proportionnel au manque d’habiletés numériques, sauf dans les sociétés et les cultures d’établissement qui y étaient préparées.
Evidemment, beaucoup reste à faire : l’e-mail l’emporte encore souvent sur l’échange visuel construit ; la scénarisation de la transmission oblige à une reconfiguration totale du cours ; la production des élèves, les modes d’évaluation sont repensés pour stimuler leurs apprentissages et leur responsabilité.
La bonne surprise est que cet autre métier s’apprend d’abord entre pairs. De nouveau apparaît la réalité, diverse, loin de la représentation d’une école de la République fondée sur un programme, un corps enseignant, un élève. Il y aurait donc beaucoup à gagner à investir l’établissement de la responsabilité de construire intégralement son projet de réussite pour les élèves qu’il accueille, et non à se conformer au projet qu’attend de lui l’institution. Un pilotage local installant la coopération entre tous les acteurs, la culture de l’évaluation et de l’engagement, donc des résultats, placera l’élève au centre de ses apprentissages, et non comme variable d’ajustement de groupes d’intérêts contradictoires. Des professeurs responsables de leur parcours de développement professionnel coupleront mieux l’intérêt général, le projet local et leur propre désir de progrès.
La « nation apprenante » a un accent de révolution dans ce moment inédit ; alors rêvons pour notre école, libérons-la de ses contraintes d’institution pour mettre l’institution au service des élèves. En tout cas, à l’étranger, cette voie est la seule qui puisse lui donner de l’avenir car le modèle français, exposé à la crise sanitaire, surexposé directement à la concurrence internationale va souffrir de la plus grave crise économique et financière qu’il ait connue; les parents vivent cela, ils comparent, ils commentent, ils n’attendront pas : l’avenir est déjà au présent.
Jean-Christophe Deberre, directeur général de laMlf