Mission laïque française

La place de l’enfant dans notre société

Place de l'enfant dans notre société

En avril 2019, Sylviane Giampino, présidente du conseil de l'enfance, vice-présidente Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, inaugurait le congrès des établissements du réseau mlfmonde "Accueillir l'enfant, accompagner l’élève, bâtir une culture d'établissement". Retour sur sa conférence et sur l'importance des institutions dans l'épanouissement d'un enfant.

Présentation du HCFEA : pour une action d’ensemble

l’enfance et de l’âge et plus spécifiquement la fonction Enfance est une entité indépendante, paritaire dont la mission est d’animer le débat public et d’apporter aux pouvoirs publics une expertise prospective et transversale.

Dans le texte qui le fonde, il est écrit que le Conseil peut proposer toute recommandation de nature à garantir le respect des droits et la bientraitance des personnes vulnérables, à tous les âges de la vie ainsi que la bonne prise en compte des questions éthiques.

Ce Conseil de l’enfance est né il y a moins de trois ans d’un constat partagé des acteurs de défense des droits de l’enfant, des professionnels et des organisations familiales ayant souhaité que nous nous dotions d’un outil de mise en cohérence des différentes politiques touchant à la vie des enfants, pour faire en sorte que les enfants et les familles ne soient pas les variables d’ajustement de ces politiques en silo.

Le Conseil a adopté le 22 mars 2019 un rapport relatif à la qualité des services de la petite enfance, de la naissance à 6 ans.

Voici le préambule de ce rapport : « ce référentiel de qualité relève le défi de proposer un pilotage national, sans objectif d’homogénéisation des pratiques et des systèmes. Le Conseil prend le parti de fournir des appuis fiables et opérationnels, instruits des enjeux centraux et de laisser une place à l’initiative et la construction, au lieu d’engendrer des systèmes de normalisation, labellisation et certification. Il s’agit pour nous d’ouvrir plus que de normer, de soutenir une ambition plus que de prescrire et figer ».

Tous les repères livrés dans ce rapport, qui a été remis le 25 avril 2019, s’appuient sur l’idée que nous ne pouvons piloter l’amélioration de la qualité des services aux enfants sans accorder une confiance de départ en la volonté et la capacité de la plupart des acteurs de s’acquitter avec compétence, bientraitance et humanité de leur responsabilité.

La place de l’enfant dans notre société

Le bébé humain est investi par la famille et le groupe avant même que lui ne les investisse. Souvent, nous oublions cette donnée. Or un enfant qui commence à respirer n’est qu’appétence pour la relation et l’apprentissage. Nous avons tendance à penser qu’un écart existait au début de la vie des enfants entre la dimension subjective et la collectivité. Ceci est faux ; tout est traversé du collectif et du culturel.

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Les trois espaces d’investissement de l’enfant, le familial, le scolaire et le culturel, s’entrecroisent en permanence. Un mécanisme est nécessaire à la mise en place de la structure psychique des enfants : le besoin de prendre appui sur l’illusion de la persistance intemporelle et invariable de l’ensemble dans lequel il évolue.

En effet, l’enfant a besoin d’une enfance, c’est-à-dire de s’imaginer aussi immortel que ceux qu’il aime et dont il dépend mais également de s’imaginer que l’ordonnancement du monde dans lequel il vit, fonctionne. Un minimum de cohérence entre toutes les sphères est nécessaire pour l’enfant.

Ce sentiment de concordance entre les champs social et familial et l’intérieur de lui-même constitue une sorte de réservoir de certitude minimale nécessaire à ce qu’il se pose comme existant. De ce réservoir, l’enfant engrange des idéaux et des représentations suffisamment rassurantes pour contrecarrer ce réel. Or, il s’avère que les institutions et les familles, ébahies par la précocité de l’intelligence du jeune enfant, souhaitent capitaliser dessus. En conséquence, un rétrécissement de l’enfance se produit. Les effets de précipitation pédagogique réduisent les temps de mise en place de ce mécanisme. Cette course à la précocité des acquisitions et des compétences n’est pas sans dommage sur la brillance des apprentissages dont recèle un enfant auquel on laisse accomplir le processus nécessaire à ces apprentissages.

En travaillant avec des bébés, nous constatons chaque jour leur appétence innée pour les apprentissages. A contrario, à l’école, nous partons du besoin d’apprendre aux enfants quelque chose. Chez le petit humain, tout est lien, corps, jeu et apprentissage. Aucune des sphères de son développement n’est séparable de chacune des autres sphères. Le développement se fait en spirale, par vagues. Nous savons aujourd’hui que même les repères d’âge en termes de développement changent avec l’évolution des connaissances. Ces intelligences inter-sphériques du jeune enfant nous obligent à travailler ensemble.

Les travaux les plus récents des neurosciences, conjugués au travail des sciences humaines et des économistes, réveillent certains présupposés pédagogiques. Pendant longtemps, il était considéré que les affects devaient être mis en sourdine pour faciliter les apprentissages. Nous découvrons aujourd’hui que les affects les confortent voire les accélèrent. Il s’agit du défi des compétences du système apprenant.

La tension positive, meilleur atout de l’enseignement français à l’étranger, a été évoquée. Les psychologues la nomment la conflictualité psychique, qui donne de l’espace pour la pensée.

Le chemin de vie du développement d’un enfant

Évoquons à présent les parents et les professionnels. Pour les enfants, le lien de filiation est structurel et fondamental mais les liens établis dans la réalité le construisent. Les deux sont d’égale importance dans le parcours d’un enfant. Denis Vasse dit ainsi : « le sens de notre existence s’éclaire à la lumière des rencontres de notre vie ».

ENFANCE

Une donne est familiale, culturelle, géographique, etc., et tous ceux qui se retrouveront sur le chemin de vie du développement d’un enfant pourront infléchir les trajectoires soi-disant prédestinées de la donne dans laquelle il a eu la bonne idée de naître.

Le premier rapport du Haut Conseil de l’Enfance s’intitule « Les temps et lieux tiers des enfants et des adolescents hors maison et hors scolarité », en provocation à l’appareil d’Etat.

En effet, dans les politiques publiques, l’enfant est pensé comme l’un des destinataires secondaires des politiques sociales et familiales, le destinataire privilégié des politiques d’éducation mais nous avons pu mettre en évidence qu’une vie des enfants existe, au-delà de la famille et de l’école. 25 % du temps des enfants se joue dans ces lieux et espaces tiers, où se trouve ce qu’ils peuvent choisir et vivre autrement.

Quelles que soient les parties du monde, la fonction parentale est universelle. Quatre repères constituent des invariants. Les parents sont en place d’installer les bases de la sécurité relationnelle avec leurs enfants, dès le début et de la nourrir ensuite. A sa naissance, l’enfant baigne dans une affection inconditionnelle dans les soins, les maternages et les jeux. Au moment de sa totale vulnérabilité, il acquiert les bases nécessaires pour la suite.

Le second repère est la confirmation de la filiation et l’introduction à la différence des générations. Un enfant doit avoir pu, ne serait-ce qu’un moment, être reconnu et honoré comme descendant de ses parents et de ceux qui les ont précédés. Cette reconnaissance le guidera pour trouver une place au sein de sa famille et de la société mais également comprendre le sens de ses devoirs envers les autres.

Le troisième repère est lié au fait que les parents sont porteurs de la différence des sexes et de la transmission du désir de devenir parent à son tour, quelles qu’en soient les modalités et les situations. Indépendamment des ouvertures nécessaires à tous les changements traversant nos sociétés sur la question du genre et de la différence des sexes, ces repères inauguraux permettent à l’enfant de donner un sens à sa vie au-delà de lui, de son individualisme et de son égocentrisme. Le masculin et le féminin organisent la dette de vie du « deux » différent, qui nous rend modeste et conscient de notre incomplétude.

Enfin, le quatrième repère revient à initier l’enfant, soutenir son désir de socialisation et lui permettre de trouver les codes pour y parvenir.

Il est impossible pour un enfant de déployer ses capacités s’il ne sent pas que les gens qui s’adressent à lui hors famille respectent en lui les coordonnées de ceux qui l’ont porté à la vie.

Accueillir l’enfant et l’accompagner dans un établissement scolaire

Mesurer l’efficacité d’un système par son adaptation au monde futur à partir d’une projection sur l’avenir, en continuité de l’état du monde dans lequel l’enfant est en train d’être éduqué, est voué à l’échec. En revanche, éduquer en formant la capacité d’un enfant à s’adapter à la transformation de soi et du monde dont on ignore ce qu’il sera, exige une autre conception de la mesure de l’efficience de nos systèmes d’éducation et un autre positionnement dans le rapport aux enfants, plus respectueux de ce que leur génération porte déjà en elle du futur qu’elle écrira.

Dans un cours d’anthropologie cognitive au Collège de France, Maurice Bloch a dit : « Nous sommes tous pris dans une immense conversation et nous sommes continuellement façonnés, non seulement par ce qui nous entoure mais aussi par les personnes qui ont existé il y a très longtemps. Cette construction par l’histoire est la spécificité la plus importante de l’espèce humaine. »

De cette profondeur de champ de l’Histoire, nous devons bâtir un projet pour les enfants dans lequel nous leur faisons apercevoir la profondeur de champ de ce vers quoi ils doivent se préparer à ajuster et inventer.

Élever un enfant revient à le tourner vers les autres, le futur et lui transmettre la confiance en ce qu’il ne connaît pas. Cela s’appelle le rêve, l’espoir. Nous faisons toutefois tous le constat quotidiennement qu’un enfant n’est pas simple, n’est pas pratique, n’est pas gérable et moyennement mesurable. Ceux qui les entourent ont besoin de temps, de profondeur, de sens, de la pensée, de l’imagination et de la liberté. Une chose est certaine à mes yeux : le vertex de l’indépendance et de la séparabilité est caduc. L’avenir se bâtira sur des coordonnées de l’interdépendance et de l’interaction, planétaire, disciplinaire, idéologique, générationnelle, géographique, etc.

Depuis deux siècles, les liens n’ont pas été suffisamment reconnus comme constitutifs de toute expression et rapport avec la réalité. Or chacun des systèmes se construit, se développe et se diversifie en interaction avec tous les autres, tout comme la caractéristique du développement de l’enfant en spirale.

En biologie, en ethnologie, en physique, dans les domaines sociaux, économiques, environnementaux… notre société a fabriqué une sorte de déliaison, de réification et nous avons cru que l’autodétermination de l’individu allait être la clé. Il faut peut-être réviser ces principes.

L’école a formé des élites, capables de porter vers l’avant le monde et d’y entraîner l’ensemble. Or désormais, celles-ci doivent se penser comme interdépendantes de ceux qui ne possèdent pas les mêmes capacités et non pas les mêmes trajectoires. C’est peut-être le risque d’une pyramide inversée, d’une nouveauté, où les élites se mettraient au service de ceux qui ne peuvent pas marcher comme eux. Le monde à deux vitesses a suffisamment creusé le fossé pour que le socle terrier sur lequel il s’est bâtit risque de se fissurer.


Transcription de la conférence inaugurale de Sylviane Giampino au #CongrèsMlf 2019

Sylviane Giampino, présidente du conseil de l'enfance, vice-présidente Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge
Sylviane Giampino est psychologue en petite enfance et psychanalyste. Elle mène conjointement son travail des activités d’études, de diffusion des connaissances et d’engagements associatifs. Elle a exercé auprès d’enfants handicapés en pédopsychiatrie et en service d’éducation spécialisée. S’est orientée ensuite vers la prévention et sur les secteurs sociaux les plus défavorisés, dans les services de protection et prévention en petite enfance, et d’accompagnement de la parentalité, elle exerce comme psychologue dans les modes d’accueil. Sylviane Giampino a présidé en 2015 et 2016, pour le gouvernement une mission de concertation scientifique et publique sur les modes d’accueil. Son rapport Développement du jeune enfant, modes d’accueil et formation des professionnels de la petite enfance est à l’origine de la publication par le ministère du texte d’orientation stratégique : Texte cadre national pour l’accueil du jeune enfant. (voir monenfant.fr) Depuis décembre 2016, elle préside le Haut Conseil de l’enfance et de l’adolescence du HCFEA qui compte 68 membres (parlementaires ; élus et représentants des collectivités territoriales ; administrations de l’Etat ; représentants des caisses de sécurité sociale, des sociétés professionnelles, du monde associatif ; des personnes qualifiées) et un collège de douze enfants associé à ces délibérations. Le conseil a pour mission d’apporter aux pouvoirs publics une expertise prospective qui garantisse le respect des droits et la bientraitance, il est chargé de rendre des avis et faire des recommandations sur les objectifs prioritaires des politiques qui concernent la vie des enfants depuis leur conception jusqu’à leur majorité. Aux deux-tiers de leur mandat, les membres du Conseil de l’Enfance et de l’Adolescence ont instruit 6 rapports spécifiques, 1 avis sur saisine ministérielle et 2 rapports transversaux. Elle est l’auteur de nombreux articles et ouvrages, dont « Les mères qui travaillent sont-elles coupables? » 2007 (Albin-Michel) ; « Nos enfants sous haute surveillance : Evaluations, dépistages, médicaments… » avec la neurobiologiste C.Vidal, ed. Albin-Michel, 2009 ; « Y a-t-il encore une petite enfance? », ed. Eres 2013 ; « Refonder l’accueil du jeune enfant » Ed. Eres 2017.

(Re)voir la conférence


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