L’éducation est en pleine transformation. partout dans le monde. Elle subit des mutations telles que l’on peut parler de métamorphose. Nous devons donc changer d’approche, remettre en question une réalité qui nous est familière mais au sein de laquelle apparaissent de nouveaux besoins et défis.
Il nous appartient de réinventer l’éducation, de repenser sa raison d’être et ses objectifs. Il devient indispensable d’accueillir et d’accompagner les élèves de manière beaucoup plus rapprochée. Si nous le faisons déjà en partie, nous devons maintenant dépasser notre quotidien et étudier les tendances internationales pour oser dépasser les freins, doutes et peurs qui nous retiennent parfois : une approche indispensable pour construire une nouvelle culture de l’école et transformer l’éducation en profondeur.
L’éducation, miroir de l’avancée du monde
Nous sommes tous d’accord sur au moins un point : l’éducation est notre meilleur outil pour améliorer le monde. Il est indispensable que l’éducation s’actualise et se tourne vers le monde de demain. Afin d’effectuer cette transformation, le premier pas à franchir consiste à observer ce qui se fait ailleurs, dans les autres systèmes éducatifs. Ayant pris connaissance d’expériences diverses, nous serons en mesure de partager les idées, les outils, mais aussi les erreurs et les échecs.
Nous pourrons alors nous inspirer de ce qui se fait ailleurs. Lorsque nous voyageons aux quatre coins du monde, on peut aisément s’apercevoir qu’il n’existe pas un unique modèle pertinent, qu’il faudrait copier et reproduire partout ailleurs. On évoque parfois la Finlande et Singapour comme les meilleurs exemples, mais ce n’est pas la réalité. Chaque communauté ou institution créent leur propre modèle en fonction de leur histoire, de leur ADN et de leur réalité afin de transformer leur système éducatif.
L’éducation est aujourd’hui confrontée une double crise de croissance et de transformation. Elle est en crise ici et partout dans le monde. Cette crise résulte du rythme de transformation extrêmement rapide du monde dans lequel nous vivons. Nous devons par conséquent nous remettre en question, nous interroger sur l’essence de l’éducation et sur son rôle, afin de la réimaginer.
La bonne nouvelle est que l’école du 21ème siècle est une école créative et imaginative, qui se fonde sur le changement. Aux quatre coins du monde, des initiatives et des expériences sont menées. Un certain nombre de personnes ont décidé de ne pas attendre l’ordre des autorités administratives compétentes pour engager un changement profond dans leurs écoles, l’objectif étant le bien-être des générations de demain.
Le changement doit être la fois participatif, systémique et transformationnel. Nous entendons par là que les communautés doivent porter leur regard vers l’avant afin d’imaginer le changement dans son ensemble. Le système bâti à la fin du XIXème siècle est celui d’une école assez rigide. Il conviendra de le dépasser. Quand il est dit que le changement doit être transformationnel, cela veut dire qu’il doit assouplir et repenser notre système éducatif.
La voix de l’élève
Au-delà de ces aspects, le changement est fondamentalement culturel. Il convient avant tout d’imaginer l’autre, de porter son regard sur la personne. On doit cesser de se focaliser sur les contenus ou les programmes, mais observer l’élève que nous avons devant nous. Il ne faut plus tant se demander comment il fera pour apprendre par cœur de grandes quantités d’informations mais il faut s’interroger sur les moyens de le faire grandir en tant que personne.
Il sera en tout état de cause différent du monde aujourd’hui. Or, il est important de savoir ce que nous transmettrons aux enfants. Si Sophie sort de l’école en ayant reçu des enseignements fondés sur la réalité du monde de l’an 2000, elle sera sans nul doute en difficulté.
Voici un petit exercice d’imagination. Sophie a deux ans. Elle entrera à l’école à trois ans, en 2020, et elle sortira du système scolaire en juin 2036. Après le lycée, elle entrera à l’université ou bien elle partira voyager. Au total, elle devrait entrer sur le marché du travail en 2040. Que sera le monde en 2040 ? Telle est la question principale. Il est toujours délicat d’imaginer le monde de demain. Bien entendu, nous ne pouvons pas nous le représenter avec exactitude.
Il sera en tout état de cause différent du monde aujourd’hui. Or, il est important de savoir ce que nous transmettrons aux enfants. Si Sophie sort de l’école en ayant reçu des enseignements fondés sur la réalité du monde de l’an 2000, elle sera sans nul doute en difficulté.
Afin de se projeter en 2040, basons notre réflexion sur les deux ouvrages de Yuval Noah Arari, Sapiens et Homo Deus. Le premier réinterprète 350 000 ans d’histoire de l’humanité et le deuxième projette les connaissances de l’humain vers l’avenir afin d’imaginer l’humain demain. Le troisième, tout aussi intéressant, s’intitule Vingt-et-une leçons pour le XXIème siècle. Je vous en recommande la lecture, et en particulier le chapitre 19, particulièrement adapté à des personnes comme nous, qui souhaitent mener des transformations dans le monde de l’éducation. L’auteur tente de faire prendre conscience de l’ampleur des changements qui surviennent aujourd’hui et des moyens de s’y adapter en termes d’éducation.
Sophie traversera de nombreux changements et devra se réinventer à plusieurs reprises au cours de ses études. On estime qu’une personne qui entrera sur le marché du travail en 2040 devra réinventer intégralement son métier et sa vie professionnelle tous les cinq à dix ans. Sophie vivra environ cent ans et devra par conséquent se réinventer six ou sept fois sur le plan professionnel au cours de sa vie. Par ailleurs, on estime que la moitié des contenus enseignés deviendront obsolètes au cours de la vie de Sophie.
Comment nous préparer à un monde qui change aussi vite ? Comment enseigner des connaissances qui ne seront pas rapidement frappées d’obsolescence ? La première étape consiste à s’assurer que les contenus dispensés ne soient pas une fin, mais seulement un moyen pour se connaître, savoir qui on est et ce que l’on veut devenir. Nous avons tellement mis l’accent sur les programmes scolaires qu’ils sont devenus quelque peu « dictatoriaux ».
Le premier défi est de se réinventer, ce qui ne peut se faire si on a l’esprit plein de contenus dont on ne sait que faire. La question que nous devons nous poser est la suivante : quel est le principal enseignement qui doit être dispensé à Sophie ? Elle passera une quinzaine d’années dans le système scolaire : le primaire, le collège et le lycée. Elle apprendra durant cette longue période un certain nombre de contenus. Très bien. Mais que doit-elle apprendre en priorité ? Elle doit d’abord apprendre à être autonome, à se connaître, à avoir confiance en elle, à être imaginative, créative, à travailler en groupe, à avoir l’esprit d’initiative. Le système scolaire actuel accorde une importance démesurée à la mémorisation et à la reproduction de contenus. Nous ne sommes pas certains que ce système permette à Sophie d’acquérir toutes ces compétences.
Inverser le système éducatif
Au lieu de nous focaliser sur les contenus et d’enseigner les valeurs lorsqu’il reste du temps, il faudrait faire tout le contraire. Durant les 15 années qu’elle passera dans le système scolaire, Sophie devra se construire en tant que personne. Les contenus devront être développés à cette fin. L’humanité est en train de changer. Nous ne vivons pas une époque de changements, mais un changement d’époque. Nous avançons à grands pas et nous continuerons à avancer à ce rythme. Ceux qui raconteront notre époque diront que l’école a franchi un cap et que l’humanité a franchi un point de non-retour.
Quelles décisions pouvons-nous prendre afin d’anticiper ce changement ? Nous sommes conscients que nous manquons souvent de temps. Nous devons sans cesse traiter les urgences. L’école nous prend énormément de temps. Pourtant, notre priorité ne doit pas être de régler les problèmes de notre époque. Elle doit porter sur les problèmes de demain. Nous devons anticiper, nous demander quelles difficultés rencontreront nos petites Sophie demain et les y préparer.
Il est possible de transformer l’éducation ! Le vent du changement s’est levé et souffle sur l’éducation. Nous visons en quelque sorte le « printemps de l’éducation ». Nous voyons partout de petits bourgeons apparaître : des écoles, des réseaux d’écoles, des universités ou des ministères préparent le système éducatif de demain en pariant sur une éducation différente.
Voyons à présent douze tendances, non pas extraites d’ouvrages conceptuels sur l’éducation, mais observées, concrètement déployées dans les écoles, les universités et les ministères. Ces tendances montrent comment les écoles peuvent briser les cloisons et venir à bout de la rigidité du système actuel. Il s’agit de repenser tout à la fois les salles de classe et la discipline.
À présent, posons-nous deux questions. Premièrement, comment fonctionne l’innovation dans l’éducation ? Innove-t-on pour adapter ou pour transformer ? Adapte-t-on un système ancien issu de l’histoire et déjà obsolète ou vise-t-on la création d’un nouveau système à partir de zéro ? Les universités s’aperçoivent parfois que des progrès de fond doivent être accomplis pour changer le système, mais au bout du compte, elles ne font que renforcer le système existant, organisé autour du cours magistral traditionnel. L’innovation et la technologie doivent être mises au service d’un système repensé dans ses fondements mêmes.
La deuxième question est la suivante : et si tout cela n’était que le début ? Les innovations et les technologies développées ces dernières années pourraient n’être qu’un prélude. Il est possible que la transformation profonde que nous envisageons se produise dans les cinq ans à venir. Nous pourrions nous mettre dès maintenant à rêver l’école de demain pour Sophie et utiliser nos expériences passées afin de penser un monde réellement différent pour nos enfants.
Il est capital que nous changions notre cadre intellectuel et notre état d’esprit. En tant qu’adultes, nous savons que nos grands-pères, nos parents et nous-mêmes sommes allés à l’école et que nos enfants vont à l’école ; de sorte que nous avons toujours contemplé la même école. Elle fait un peu partie du paysage. C’est pourquoi la réinventer demandera un effort considérable. Il convient d’imaginer des relations différentes entre les enseignants et les élèves, établies à partir des centres d’intérêts des élèves. Pourquoi continuons-nous à forcer les élèves à apprendre des contenus qui ne les intéressent pas forcément, du moins pas de la façon dont ils sont proposés ?
Transcription de la conférence de Xavier Aragay, directeur de Reimagine Education Lab au #CongrèsMlf 2019
(Re)voir la conférence