À quelles conditions une culture scolaire – attentive à une histoire des savoirs, à des valeurs communes à l’ensemble des acteurs, à des objets clés de la culture locale présents dans l’établissement, à des symboles partagés – peut-elle exister dans un établissement ? Pourquoi parler de culture ? Qu’entendre par culture scolaire et par culture d’établissement scolaire ?
Nous allons parler de culture et nous interroger sur les conditions qui peuvent permettre à un établissement scolaire de construire, avec d’autres établissements, une culture qui leur soit commune.
La responsabilité d’un chef d’établissement ou en tant qu’enseignant, est de constituer une matrice pour les enfants que vous accueillez qui, dans leur bouillonnement affectif, cognitif et biologique, voire dans leur bouillonnement épistémique, vont devenir des élèves. En définitive, vous êtes à la fois des passeurs et des transformateurs qui conduisez à des métamorphoses humaines. La personne singulière de l’enfant, confrontée à l’universalité des savoirs qui lui sont proposés, se construit peu à peu en élève sous la bienveillance et l’exigence de votre action.
Une précision liminaire : pour la webradio je viens d’être interviewé par de jeunes élèves qui assimilaient le mot « culture » à l’idée d’activité culturelle. Pour eux, parler de culture dans un établissement renvoie aux activités culturelles qui peuvent y exister : danse, théâtre, musique, activités sportives… La culture dont je vais parler n’est pas de ce registre. Elle s’inscrit dans une approche anthropologique.
En anthropologie, le mot culture possède deux sens. D’une part, la culture est le patrimoine que l’humanité a construit. D’autre part, c’est ce qui fait sens à chacun de nous. Quand je rencontre un collègue d’Afrique noire, il commence toujours par prendre des nouvelles de mes fils. Cette habitude de mon collègue et ami de référer à mon milieu de vie ne correspond pas forcément à ma culture. La culture n’est pas seulement ce que l’on trouve dans les rayons des bibliothèques ou ce qui gît dans les placards de l’université, mais bien ce qui fait sens à chacun de nous dans le quotidien de nos existences.
Parler de la possibilité de construire une culture qui soit commune aux établissements dont s’occupe la Mlf revient à se demander s’il est possible, et comment il est possible de construire de l’unité dans la diversité.
Nous partirons d’un constat en utilisant le mot âme emprunté à Aristote et à Platon et nous appellerons les établissements dont la Mlf a la charge les établissements français à l’étranger, sachant que cette appellation est réductrice. Chaque établissement français à l’étranger a une âme. Nous utilisons le mot âme en référence aux grands philosophes grecs, qui considéraient que, dans une vision dualiste, il y avait le corps et l’âme, l’âme étant ce qui animait. Penser que l’établissement dans lequel vous vous trouvez aujourd’hui possède une âme, conduit à se demander comment cette âme singulière peut muter, se métamorphoser en une culture commune à d’autres établissements.
Pour répondre à cette problématique, je vous propose un exposé en quatre temps ;
- Comment penser les notions d’’âme et de la culture d’un établissement français à l’étranger ?
- A quoi peut correspondre une culture commune ?
- Quelle stratégie mettre en place pour la faire exister ?
- Quelle tactique pour y parvenir ?
L’âme et la culture des établissements français à l’étranger
Chaque établissement possède une âme, une identité, qui se traduit par ce que j’observe de prime abord, à savoir un aménagement architectural, au sens organisationnel, ou fonctionnel, qu’on peut assimiler au fonctionnement de notre corps. Dans un établissement, on trouve des lieux où l’on mange, où l’on se repose, où l’on se rencontre. Derrière cette extériorité se trouve une intériorité à expliciter, une photographie de l’inconscient de ceux qui y travaillent. Si un établissement ne ressemble pas à un autre, c’est en raison des pratiques du chef d’établissement, qui a par exemple l’habitude de réunir chaque mois les responsables disciplinaires, alors qu’un autre établissement fonctionne de manière différente.
Toute cette explicitation de l’organisation d’un établissement, qu’un sociologue des organisations serait intéressé à éclairer, est sous-tendue par un ensemble de valeurs, de symboles et de principes qui sont spécifiques à l’établissement. Nous pourrions réfléchir à ce qui, selon vous, constitue hinc et nunc, l’âme de l’établissement dans lequel vous intervenez, sur la spécificité de ce lieu et sur la façon dont elle s’actualise au travers de l’organisation au sens large de l’établissement.
Nous avons utilisé le mot âme à la place du mot identité. Nous avons également utilisé le terme de culture. Il est vrai qu’on commence à parler de culture d’établissement, mais l’on parle davantage de culture dans les entreprises. Au sein des compagnies aériennes, la culture d’Air France n’est pas celle de KLM, d’EasyJet, ou d’Air Qatar, etc. La différence que nous faisons ici avec l’âme comme un donné et la culture est un construit, réside dans le fait que si nous voulons nous intéresser à une culture d’établissement, il convient de partir de l’existant pour essayer de voir vers quoi il va tendre. Il en découle une excellente question qui sera posée tout à l’heure, à propos de la différence entre un projet d’établissement et une culture d’établissement. Une entreprise est une institution qui possède sa culture propre. La culture d’une entreprise renvoie à son histoire, à son organisation, à des valeurs, des symboles, des méthodes de travail, des objets. Les sociologues du travail s’intéressent avant tout à la façon dont les choses fonctionnent, ce qui les conduit à s’intéresser à l’histoire, à l’organisation, aux valeurs, aux symboles, aux méthodes de travail.
L’une des grandes difficultés d’un chef d’établissement qui prend son poste consiste à penser que l’histoire de cet établissement ne commence pas avec lui. Cet établissement a un passé, qui a fait naître des relations particulières entre les enseignants, les enseignants et les parents, entre les élèves et les professeurs. Pour moi, l’âme de l’établissement, c’est ce qui existe, ce qui est donné, alors que la culture de l’établissement, c’est ce qui est à construire. Evidemment, il faudra s’interroger sur les linéaments, les traces qui peuvent constituer une culture d’établissement. Le mot culture est ici utilisé au sens anthropologique du terme, et plus encore. Avec un ami psychanalyste, Jacques Lévine, nous avons écrit un ouvrage, Pour une anthropologie des savoirs scolaires. Nous pensions savoir ce qu’était l’anthropologie, la science qui s’intéresse à comprendre les spécificités de l’humain. Et puis nous sommes allés chercher dans le Dictionnaire historique d’Alain Rey, qui suggère que le mot anthropologie puisse être, au niveau d’anthropos, la condensation d’une part d’andros, l’homme, et de thoros, le sperme.
L’anthropologie serait la science qui s’intéresse à la manière dont l’homme est capable de féconder de l’humain, de se perpétuer. Elle est donc intéressante à appliquer au champ scolaire. Comment faites-vous exister de l’humain dans les procédures d’enseignement, de transmission, d’apprentissage au sens large dans vos établissements ?
Une culture renvoie à des valeurs, à des symboles et des principes. Quelles sont les valeurs qui caractérisent tel établissement par rapport à tel autre ? Pouvez-vous les caractériser ? Magdalena Kohout-Diaz a signifié dans sa conférence* que la prise en charge, légale ou pas, qui existe dans certains de vos établissements renvoie à des valeurs qui ne sont peut-être pas partagées par tous. Quels sont les symboles qui traversent cet établissement ? Quels en sont les principes ? Si je considère la culture française elle est faite de symboles, le 14 juillet, le drapeau français… Est-il possible de considérer un établissement non pas seulement en termes d’organisation, de ce qui est le plus visible quand on observe le réel, mais aussi en termes de principes ? Principe, pinceps, c’est ce qui est premier. Le principe qui nous permet de vivre ensemble, c’est notre constitution. Dans un établissement, quels sont les principes, les valeurs et les symboles qui existent ?
Le terme de culture peut aussi être considéré pour son sens premier. Parler de culture d’un établissement, c’est renvoyer au fait que la culture, dans le domaine agricole, implique un travail. L’agriculture laboure, ensemence, etc. La culture dans un établissement renvoie à la multiplicité des savoirs enseignés, mais aussi à l’accompagnement par la bienveillance, à l’exigence nécessaire pour que se développent toutes les potentialités.
Pour chaque acteur d’un établissement scolaire, faire exister une culture commune – pour utiliser la même métaphore – c’est se faire cultivateur de son propre bout de terre, labourer, ensemencer, accompagner son espace, en fonction d’une finalité et d’objectifs identifiés au niveau de la Mission laïque française.
Le monde de l’école est un monde traversé par les métaphores, les images : le niveau baisse, le corps enseignant, la matière, la discipline. Nous baignons dans un monde d’images. C’est la raison pour laquelle je me suis autorisé à utiliser ces images. .
Quelle culture commune pour les établissements français à l’étranger ?
En quoi pourrait consister une culture commune dans les établissements scolaires à l’étranger ? Quelle serait la culture commune à construire ? Il s’agirait de l’identité des établissements français à l’étranger, qui partageraient entre eux la réponse à une double question, d’une part la réponse à la question du rapport au savoir et d’autre part celle du rapport à la loi au sein d’un environnement facilitateur de réussite.
Pour ma part, à la question de savoir ce qu’est un enseignant, parmi les multiples réponses possibles, je réponds que c’est quelqu’un qui cherche à mieux comprendre, pour le transformer le cas échéant, le rapport au savoir que vivent les élèves. Ce n’est pas pour rien qu’un élève, dès les petites classes, affirme qu’il aime ou n’aime pas les mathématiques, l’histoire ou l’éducation physique.
Il existe un rapport au savoir identitaire, propre à chacun de nous. Arrêtons-nous sur cette notion de rapport au savoir développée par des collègues se réclamant de deux cultures différentes, la sociologie d’une part, avec Bernard Charlot, et d’autre part la psychanalyse avec Jacky Beillerot. Je suggère que le rapport au savoir renvoie à quatre registres d’intelligibilité. Il renvoie d’abord à de l’épistémologie, à la didactique et à la pédagogie. Je m’autorise à penser qu’un instituteur, un professeur d’école comme on dit aujourd’hui, est quelqu’un qui, quand il commence l’année, doit avoir présent à l’esprit les quatre idées essentielles qui donnent sens à tout l’enseignement de l’histoire qu’il dispense. En quelque sorte, la grande différence entre un enseignant et un apprenant, c’est que le premier a idée de la structure des savoirs qu’il dispense,alors que l’élève est à la recherche de la structure des choses, à travers la multitude des enseignements qu’il reçoit. L’épistémologie est un discours sur les disciplines. Le propre du didacticien, en considérant que la didactique est une pédagogie adaptée à une discipline déterminée, est de conduire une réflexion sur l’épistémologie et l’histoire de sa discipline. Si je suis capable d’aider un élève à identifier les structures d’une discipline, je l’aide énormément.
J’étais dans une classe de troisième avec la collègue qui enseignait, qui a fait sa thèse avec moi sur les particularités de l’histoire au collège. Ce jour-là, il était question de Pythagore et de son théorème. J’ai demandé aux élèves s’ils avaient idée de qui était Pythagore. Les élèves voyaient en lui un savant récent, puisqu’il était enseigné à l’école. Je leur ai expliqué qu’il avait vécu il y a 2 500 ans. A grands traits, je leur ai tracé une histoire de Pythagore. Je leur ai dit qu’il a voyagé sur les côtes turques où il a rencontré Thales, qu’il a passé plus d’une dizaine d’années en Egypte, d’où il a rapporté les fractions, qui ont été inventées 1 200 ans avant Jésus-Christ. Le jour où, de manière frontale, magistrale, on montre que le savoir n’est que l’histoire de l’humanité qui nous a précédés, que l’école est le lieu dans lequel une génération transmet à la génération suivante ce qu’elle juge nécessaire que cette génération suivante possède, alors, ce jour-là, le savoir prend une autre dimension. Chacun de nous a vécu un rapport au savoir particulier.
Après avoir été instituteur, j’ai été, pendant 18 ans, professeur dans une école normale d’instituteurs. J’avais au programme le développement psychophysiologique de l’enfant. Je diffusais un film montrant la naissance d’un enfant. A chaque diffusion, une émotion m’étreignait. J’ai compris que si j’étais devenu professeur de ce qu’on appelle aujourd’hui les SVT, c’est parce que j’avais un vieux compte à régler avec ma propre naissance. Vous n’êtes pas devenus professeurs dans votre domaine sans que ce domaine n’entretienne un rapport non pas de superficialité, mais de profondeur à ce que vous êtes.
Il existe, dans le rapport au savoir, une dimension sociologique. Vous connaissez comme moi ces élèves qui échouent à l’école alors qu’ils ont tout pour réussir, sauf une chose, l’envie de réussir. Pour réussir à l’école, il faut accepter d’accéder à une identité qui est autre que son identité propre. [1] Il faut accepter d’entendre un père, une mère, un grand-père vous dire « mon fils, ma fille, tu pourrais être demain autre chose que ce que je suis, tu continuerais à être mon fils ou ma fille ». Il y a dans le rapport au savoir une dimension identitaire, que la sociologie peut nous aider à éclairer. Il y a une dimension psychologique, dans le rapport à soi, et une dimension anthropologique.
Dans le domaine des SVT, quand on parle du vivant, on s’intéresse au même et à l’autre. Je sais que mes cellules épithéliales sont reconstituées en trois semaines, que la durée de vie de mes globules rouges est de trois mois, et que celle de mes cellules intestinales est d’un mois. Je ne suis donc jamais le même. Je suis toujours quelqu’un d’autre, et cependant, je suis toujours le même. Quelles sont les grandes questions, d’aucuns diraient ontologiques, qui traversent les disciplines et qui leur donnent une signification ? Je fais la différence entre les fondements et les fondations d’une discipline. Les fondations d’une discipline renvoient à l’épistémologie de cette discipline. L’épistémologie est une réflexion critique sur les principes, les méthodes et les conclusions d’une discipline. L’anthropologie ne s’intéresse pas aux fondations d’une discipline, mais à ses fondements. Une maison a des fondations, et elle a des fondements, comme le fait qu’un homme et une femme aient décidé de construire une vie en commun dans ce lieu. Quels sont les fondements des disciplines qui sont enseignées ? On pourrait se demander, pour chaque discipline, quelles sont ces grandes questions, qui ne sont pas des questions spécifiques à la discipline, mais des questions anthropologiques, qui nous aident à comprendre comment l’homme est capable de féconder de l’humain à travers les disciplines.
L’école est le lieu d’un rapport au savoir et d’un rapport à la loi. L’on y découvre la signification et le sens des savoirs qui sont enseignés, et on y apprend à vivre ensemble. On apprend la valeur de la différence. On apprend des règles. On découvre des droits, et simultanément, on y découvre des devoirs. C’est dans la synergie, la coalescence du rapport au savoir et du rapport à la loi que nous aidons des enfants à devenir des élèves.
Quels sont les linéaments possibles d’une culture commune aux établissements français à l’étranger ?
Intéressons -nous en premier lieu au cadre de vie, dans et hors de l’établissement, ce qui renvoie au sentiment pour les élèves d’être en sécurité, dans un lieu agréable à vivre et un lieu qui leur permet de se responsabiliser.
On pourrait également considérer l’établissement scolaire comme une organisation apprenante. Très souvent, quand on pense la formation, on la pense comme externe à l’établissement. En fait, chaque enseignant possède une potentialité qui s’exprime difficilement, souvent par excès d’humilité, ce qui ne facilite pas l’échange des pratiques. Pourtant, chaque établissement est une organisation qui a beaucoup à apprendre de la potentialité des personnes qui y vivent.
Intéressons -nous en outre, aux pratiques pédagogiques de l’établissement, autour de principes tels que la bienveillance, l’exigence, l’accompagnement. Cela existe peut-être dans vos établissements. Peu d’établissements permettent à un enseignant de se rendre dans la classe d’un autre enseignant. Les pratiques pédagogiques dans un établissement sont souvent étanches, y compris à ceux qui enseignent dans la même discipline. Lorsqu’un professeur d’anglais ou de mathématiques s’exprime en conseil de classe, aucun des deux ne sait ce que l’autre fait dans sa classe et ne connaît les particularités de sa discipline.
Enfin, le quatrième linéament d’une culture commune aux établissements français à l’étranger concernerait la participation des parents.
Ces quatre domaines sont en interaction, sinon en synergie, les uns avec les autres.
Une stratégie pour y parvenir
Les établissements français à l’étranger ont une identité. Celle-ci pourrait-elle être commune ? Et dans ce cas-là, sur quoi pourrait-elle s’appuyer ? Sur les quatre domaines que je viens d’évoquer. Vous en trouverez d’autres, et tout ceci est à construire en commun, pour faire de la Mlf ce qu’elle est déjà. Il me semble que lorsque, de manière participative, la Mission laïque française aura proposé des axes d’une culture commune – vous en trouverez d’autres que ceux que j’ai choisis, comme l’accueil et l’accompagnement de l’élève tout au long de son parcours scolaire – une stratégie sera nécessaire pour parvenir à bâtir cette culture.
Procédons en quatre temps.
Dans un premier temps, il s’agit de définir de manière concertée les éléments clés de la culture commune aux établissements français à l’étranger.
Dans un deuxième temps, il faudra sans doute choisir des établissements pionniers pour une première année, penser à leur accompagnement, aux régulations qui en résulteront, et puis progressivement, mettre en place une implémentation concertée. Evidemment, nous ne nous inscrivons pas dans le court terme. Si un tel projet voyait le jour, nous serions a minima dans le moyen terme et probablement dans le long terme.
Pour reprendre la métaphore agricole, pour construire une culture commune, chefs d’établissement, ameublissez les terrains ! Enseignants, labourez la terre, ensemencez vos plants, vous élèves, accompagnez-les, récoltez à un moment ou un autre ! Parents, soyez attentifs à la maturation de vos plants ! Elèves, un jour graine, le lendemain fleur, le surlendemain fruit : faites fructifier toutes vos potentialités ! Osons nous faire cultivateurs !
Il faut également envisager les éléments clés d’une tactique Il ne s’agit pas de marcher au pas, ou au même rythme, mais de faire en sorte que cette stratégie construite autour des éléments d’une culture commune puisse s’actualiser dans la caractéristique du lieu dans lequel vous fonctionnez. Alors, on passe d’une stratégie à une tactique. Un chef d’établissement m’a confié récemment que pour provoquer le changement dans son établissement, il s’est abonné aux Cahiers pédagogiques, et laisse traîner des textes d’une ou deux pages en salle des profs, qu’il renouvelle régulièrement. Telle est la tactique qu’il a mise en place.
Il s’agit enfin de prendre en compte l’ensemble des acteurs et leur stratégie, notamment leur représentation d’un établissement idéal, d’envisager le changement comme une valeur ajoutée. Que faire par rapport à cette idéalité ? La première des utopies serait de croire qu’on puisse se passer d’utopie. Mais il convient de savoir faire un pas de côté entre les idéaux, les utopies, et ce qu’il est possible de faire en fonction du lieu, des acteurs. Quels seraient les éléments à privilégier pour faire exister une valeur ajoutée dans notre établissement ? A partir de là, quelles seraient les centrations en termes de transformation et de planification, avec quels responsables de projet ? Peut-on déléguer dans l’établissement à une personne la responsabilité d’un projet particulier ? C’est peut-être une question à se poser en tant que chef d’établissement, s’il fallait faire exister une culture commune. Comment accompagner les projets ? Avec régularité, en installant des régulations en cours de route.
Pour l’underground, passons. Les deux mots importants sont les mots sens et laïcité. S’il y avait une culture d’établissement à faire exister grâce à la Mlf, ce serait des établissements dans lesquels la question du sens serait centrale. La question du sens est à la fois la plus difficile et la plus importante. Le mot sens n’existe que dans les dictionnaires de philosophie et les dictionnaires de psychanalyse. Ces trois jours n’ont aucun sens. Mon intervention n’a aucun sens. Vous mettrez du sens dans mon intervention ou vous n’en mettrez pas. Le sens ne gît pas dans une discipline ou dans un lieu. Le sens est dans l’interaction qu’un sujet entretient avec le contexte dans lequel il est. Gilles Deleuze, dans La logique du sens, en 1969 écrit que le sens est dans le rapport à soi, dans le rapport aux autres et dans le rapport au monde. Les deux éléments importants sont le sens, et celui qui consiste à faire exister ce que Jurgen Habermas appellerait peut-être une éthique de la communication, qui est une des particularités de la laïcité. La laïcité, c’est bien sûr la séparation de l’église et de l’Etat en 1905, mais c’est aussi la capacité à accepter la pensée de l’autre, parce qu’il appelle une éthique de la communication.
Le rapport au savoir et le rapport à la loi, qui sont au cœur de ce que pourrait être cette culture commune aux établissements doivent faciliter une prise de conscience du fantôme d’autrui que chacun porte en lui. Voilà ce qui m’intéresse. Ce Fantôme qui détermine, face à l’inconnu de l’apprendre et à la puissance symbolique du savoir, le défi de l’estime de soi nourri du défi de l’estime des autres.
Transcription de la conférence de Michel Develay, professeur émérite des universités, au #CongrèsMlf 2019
(Re)voir la conférence
Ressources
Donner du sens à l’école, Michel Develay, 2004