De nouveaux espaces d’apprentissage au service de pédagogies innovantes
Comment une organisation apprenante peut investir cet espace-temps pour penser l'élève tel qu’il va devenir dans la société telle qu’elle est ? Comment réconcilier les espaces d’apprentissage, le numérique et la pédagogie ? Que montrent les expérimentations menées en la matière ? Comment déployer, à grande échelle, les innovations, quelles sont les conditions de réussite de leur propagation.
Depuis cinq ans, sur la base des résultats de projets de recherche, L’European Schoolnet a développé un Future Classroom Lab, un lieu dans lequel sont repensées les espaces d’apprentissage.
En 2018, les ministères ont publié un document Driving Innovation in Education. Nous constatons que les premiers cours en ligne datent d’il y a moins de dix ans et que la problématique du learning analytics n’a pas plus de cinq ans, ce qui nécessite des temps d’adaptation et des transformations.
Dix domaines d’éducation prioritaire par rapport au travail du réseau ont été identifiés et regroupés dans quatre grands volets :
- donner les compétences pour vivre et travailler aujourd’hui et demain (citoyenneté numérique, compétences vis-à-vis du STEM) ;
- les nouvelles pratiques d’enseignement avec des approches innovantes pour la formation des enseignants et une réflexion importante sur l’évaluation et l’assessment ;
- l’École en tant que telle, comme organisation en développement, par rapport au changement global des établissements (mise en réseau, réconciliation entre les approches formelles/non formelles/informelles) ;
- l’innovation et comment la déployer à grande échelle, avec les technologies éducatives, le développement de pilotes de démonstration et les conditions de propagation.
Quatre priorités ont été retenues :
- le soutien pour que les apprenants puissent évoluer en toute sécurité dans la société numérique d’aujourd’hui ;
- le capacity building of teachers, c’est-à-dire le développement professionnel des enseignants, y compris en matière de formation initiale ;
- les nouveaux environnements d’apprentissage (new flexible learning spaces) ;
- le scaling de l’innovation avec un certain nombre de domaines d’actions.
Que dit la recherche par rapport aux espaces d’apprentissage ?
En 2007, l’OCDE a commencé à mettre en place une évaluation de la qualité des espaces d’apprentissage. En termes de travaux, une première étude menée au Royaume-Uni, en 2015, sur un très petit échantillon (153 classes, 27 écoles) montre que les classes dont le design a été pensé de manière approfondie a un impact sur la performance des élèves dans les disciplines fondamentales.
La recherche commence à se préoccuper des impacts des espaces sur les résultats des élèves et la performance des enseignants. L’université de Melbourne a lancé deux études, notamment sur les environnements d’apprentissage innovants et la modification du rôle et de l’activité des enseignants. Le dernier rapport publié par le New Media Consortium met en évidence le fait que la redéfinition des espaces d’apprentissage va guider l’adoption des technologies éducatives dans les trois prochaines années.
Michael Fullan, expert en évaluation des politiques publiques, dresse, en 2013 trois constats par rapport à l’environnement de l’école :
- l’ennui à l’école n’a aucune chance par rapport à l’attrait addictif du monde extérieur ;
- à l’école, la technologie est visible par son absence ou par son usage très superficiel et ciblé ;
- la technologie peut aider à l’apprentissage.
Ce débat entre technologies et pédagogie n’est pas nouveau. Mais désormais, on s’interroge pour savoir si la pédagogie est pilotée par la technologie ou si c’est la pédagogie qui pilote la technologie.
Nous pouvons mettre en lumière plusieurs enseignements :
- si nous définissons la pédagogie correctement et que nous incorporons les technologies en conséquence, alors l’apprentissage deviendra plus simple, meilleur et beaucoup plus engageant ;
- ceci ne peut se faire sans les enseignants et les élèves.
Par rapport à cet aspect, on peut s’interroger sur les problématiques d’innovation. Sur ce point, nos systèmes éducatifs reposent sur trois piliers :
Pédagogie, technologie et espaces
L’espace est un agent du changement : le rapport entre la pédagogie et l’espace implique un changement.
Les technologies et la pédagogie permettent d’offrir un apprentissage en dehors de l’école. Ces pédagogies ont une incidence sur l’organisation de la classe, sur l’apport des technologies et sur les méthodes d’évaluation. Ces dernières restent malgré tout très conservatrices. D’où le paradoxe : d’un côté, les enseignants encouragent les élèves à travailler ensemble et, de l’autre, on attend des étudiants qu’ils démontrent les croyances acquises en étant assis pour remplir une évaluation normée.
Si on devait réformer les systèmes éducatifs, on commencerait par l’évaluation et non par le curriculum, comme ça a été le cas jusqu’à présent.
Les bénéfices de l’adaptation des espaces s’observent à trois niveaux :
1. pour l’école : articuler le changement physique avec les développements liés à l’apprentissage des enseignements technologiques pour plusieurs domaines ;
2. pour les enseignants : explorer des pédagogies différentes, regrouper les élèves par rapport à leurs besoins, favoriser une meilleure connaissance individuelle, encourager à bouger, mettre en œuvre le team teaching ;
3. pour les élèves : avoir un accès plus important aux technologies et davantage d’autonomie.
Par ailleurs, six raisons de créer un laboratoire pédagogique ont été définies :
- permettre de questionner les postures ;
- développer les compétences du 21e siècle ;
- expérimenter, se tromper, apprendre, développer la culture positive de l’erreur ;
- partager des pratiques pédagogiques, apprendre ensemble ;
- s’ouvrir à l’écosystème éducatif ;
- emporter avec soi le meilleur et transférer les échanges qui ont lieu dans les laboratoires.
S’agissant de l’apport du numérique dans ce contexte, les études démontrent l’absence de relation entre l’utilisation du numérique et le résultat des élèves.
En revanche, il existe un rapport entre l’investissement numérique et les stratégies pédagogiques plus innovantes et plus efficaces. Ceci pose la question de l’introduction du numérique en matière de renouvellement des pratiques pédagogiques.
Ceci met en évidence la valeur ajoutée des nouveaux espaces d’apprentissage.
Ces nouvelles pédagogies nécessitent une plus grande modularité, des changements fréquents d’activité, un travail en groupe impliquant la circulation des élèves et l’expérimentation.
La mise en place de pédagogies actives implique aussi la coopération entre enseignants, l’échange et les rencontres avec des partenaires extérieurs, l’aménagement d’espaces adaptés et de temps dédiés pour cette activité.
En conclusion, se pose la question du déploiement de ces innovations.
Dans ce cadre les difficultés rencontrées portent sur :
- l’absence de réflexion pédagogique suffisante, ce qui conduit à réfléchir à la formation initiale des enseignants ;
- peu de formations adaptées ;
- le manque de confiance et d’autonomie pour les équipes pédagogiques ;
- la faible marge de manœuvre laissée aux établissements ;
- les difficultés à encourager, accompagner et valoriser les expérimentations et innovations.
Dans son rapport « repenser les formes scolaires », Catherine Becchetti-Bizot propose d’augmenter le désir d’apprendre, retrouver le plaisir d’enseigner, encadrer et accompagner.
Mais pour ce faire, il convient de revoir le rôle des inspecteurs (animer, coordonner), rompre l’isolement des enseignants et repenser le rôle des chefs d’établissements, afin de mettre en place de nouvelles modalités de formation.
Le numérique : une opportunité pour revoir les pratiques professionnelles
Il convient de :
- définir des objectifs clairs pour une meilleure intégration du numérique et de la pédagogie avec une formation de tous les acteurs ;
- inscrire la transition numérique dans un projet global pour l’école ;
- éclairer la pratique des enseignants par les nouveaux apports de la recherche ;
- faire évoluer les critères d’évaluation, instaurer la confiance à tous les niveaux engager les praticiens dans des démarches réflexives et de recherche.
En ce qui concerne les pratiques de mainstreaming (déploiement à grande échelle), la question est de savoir comment associer tout le monde à ces processus. Sur ce point, on peut dresser un parallèle avec l’introduction du numérique dans les processus éducatifs. Sachant que, sur une courbe de Gauss, on voit apparaître :
Les mécanismes mis en œuvre doivent permettre de tirer parti des enseignements des pionniers au profit des praticiens.
Pour l’adoption à grande échelle pour les enseignements, on ne peut se limiter aux prescriptifs. En effet, il faut :
- la validation des enseignants (pour tester et valider la valeur ajoutée de nouvelles approches) ;
- l’accompagnement des programmes de formation, y compris dans le cadre de la formation initiale ;
- une gouvernance, mais la question est de savoir si elle doit appartenir à la communauté enseignante.
Les recommandations sont les suivantes :
- libérer les initiatives (expérimentation, recherche projet, valorisation) ;
- faire évoluer les modalités de formation (besoins des enseignants, échanges de pratiques, ressources en ligne) ;
- passer de l’enseignement innovant à l’école innovante et le rôle du chef d’établissement est primordial dans ce cadre ;
- soutenir les nouveaux espaces d’apprentissage, faire confiance a priori et contrôler a posteriori et non l’inverse ;
- pour le déploiement à grande échelle, identifier les conditions de propagation, dans le cadre d’une approche systémique en donnant, aux processus, l’importance qu’il convient.
Les trois facteurs critiques de succès :
- faire connaître (évidence montrant que c’est possible) ;
- donner de la reconnaissance et du temps aux enseignants ;
- la décision politique (pas de retour arrière possible) ;
S’agissant du rôle essentiel des enseignants, voici une citation sur laquelle on peut méditer : » It’s the supreme art of the teacher to awaken joy in creative expression and knowledge.« (Albert Einstein).
Transcription de la conférence de Marc Durando au #congrèsMlf, directeur exécutif d’European Schoolnet
(Re)voir la conférence dans son intégralité