Mission laïque française

Premiers pas vers une nouvelle école ?

continuité pédagogique - enseignement -covid19

En écrivant au tout début du confinement généralisé « Il faut préparer le monde pédagogique d’après la crise », Alain Bouvier était imprégné de l’école de communication dite de Palo Alto et son célèbre : « le sens de mon message est dans la réponse que j’obtiens ». L'article se concluait en ces termes : « Les enseignants et CPE vont-ils sauver l’École ? Ils en sont capables." Le Recteur a ce rêve de voir un jour la population à ses fenêtres, consciente du travail accompli, se mettre à les applaudir comme elle le fait chaque soir pour les personnels de santé.

Trois semaines c’est très court pour noter sur le terrain des changements conséquents. Nous observons seulement que des journaux publient des remerciements adressés à une dizaine de professions dont les pompiers, les éboueurs, les boulangers, les chauffeurs routiers… ; jamais aux enseignants.

On a vu des personnels de santé rendre hommage à ceux qui nettoient. Tous les jours des artistes connus enregistrent et diffusent des chansons de reconnaissance envers les soignants et d’autres métiers ; ils ignorent les enseignants. Nous avons même cette phrase qui en dit long : « je ne pleurniche pas pour les pleurnicheurs ! ». Que dire des maladroits propos de la porte-parole du gouvernement, aussitôt rectifiés par le Premier ministre ? Quel est donc le message que la corporation enseignante envoie au reste de la société dont elle se tient à distance et qui lui vaut, en retour, ce message ? Bien sûr, il ne faut pas oublier que l’histoire récente, montre qu’une crise mondiale peut n’avoir aucun effet ultérieur[1]. Alors, comme Roger-François Gauthier et en se montrant résolument optimiste, il faut espérer que la crise sanitaire, qui est un exceptionnel révélateur de questions taboues, va permettre un salutaire sursaut bien nécessaire.


Note de l'auteur
[1] La crise financière de 2008 par exemple, mais elle interpellait surtout les gouvernements et les puissances financières, alors que la pandémie touche directement tout le monde au quotidien.

Continuité pédagogique : comment se passe la phase actuelle ?

Partons de faits. Après les inévitables et considérables difficultés techniques des premiers jours dues à la soudaine pratique massive et non préparée de l’enseignement à distance, on observe sur le terrain un grand déploiement d’innovations et des trésors d’intelligence qui viennent des enseignants, des élèves, d’associations, d’entreprises privées, faisant d’habiles appels à des aspects ludiques.

L’établissement scolaire, lieu de culture

De petits groupes d’élèves auto-constitués sur WhatsApp ou d’autres applications dont ils raffolent, font preuve de solidarité et des professeurs pratiquent avec altruisme de modestes formes de travail collaboratif. Pour une fois, les innovateurs ne sont pas freinés par les chantres du statu quo laissés sur place par le mouvement. Les habiles viennent en appui à ceux qui sont moins à l’aise. Au passage, louons les plus visibles, les 20 000 enseignants qui participent à l’accueil de 30 000 enfants des personnels soignants. Ce n’est pas rien. Un équilibre global a été trouvé pour le court terme. Des échanges à distance se font par téléphones et par mails. Les enseignants pratiquent aussi de l’accompagnement pédagogique individualisé, éloigné de leurs pratiques habituelles. Certes, le besoin de classe comme lieu de socialisation et de camaraderie commence à se faire sentir, mais tout semble dans l’ordre puisque l’on observe les premiers exemples de « chahuts numériques » ! Enfin, notons que selon un sondage du 30 mars, les 2/3 des parents jugent le travail scolaire à distance de bonne qualité, une occasion de dire : Bravo ! aux enseignants.

Pour les familles ne disposant pas d’équipement informatique, pour le dispositif « Devoirs à la maison », le ministère vient de passer un accord avec La poste qui leur distribuera des colis de matériels préparés par les établissements et des devoirs donnés par les professeurs. Cela s’ajoute à ce que des établissements faisaient déjà, à leur initiative, parfois avec l’aide de mairies, mais essentiellement pour des collèges. En revanche, la question des enfants en bas âge est toujours en attente de solutions. Sont-ils oubliés ?

Continuité pédagogique :éléments de bilan très partiel

Pour la première fois se fait officiellement un enseignement à distance, exclusif et de masse. Par exemple, les ENT (un outil parmi d’autres) ont soudainement connu une augmentation de 400% de leur utilisation. En deux semaines, ils ont eu 7 millions de visiteurs (enseignants et élèves), chiffre qu’il faut comparer aux 12 millions d’élèves. La situation est très disparate. Déjà, en 2018, soit 15 ans après leur déploiement, le bilan était cruel : les ENT étaient présents dans la quasi-totalité des lycées, mais seulement dans 88% des collèges et dans 15% des écoles primaires qui n’en faisaient d’ailleurs pas une revendication massive ! Pourtant les outils numériques sont riches de possibilités et je suis sûr que, s’il était en activité, Célestin Freinet se serait emparé d’eux.

En interprétant à distance, chacun chez soi, le Boléro de Ravel, les musiciens de l’Orchestre National de France ont livré un magistral exemple de travail collaboratif à distance ! Pour les enseignants aussi un travail collaboratif à distance est possible car le métier s’y prête ; c’est seulement une question de volonté collective partagée.

L’implication des enseignants est très inégale. Une enseignante expliquait à un média que dans son établissement, les liens à distance avec les élèves et les familles reflètent, en fait, ceux qui existaient déjà en présentiel avant le confinement. Ainsi, il arrive que dans un collège difficile, seulement 4 professeurs (en gros un tiers de l’équipe) contactent les élèves, les autres se targuant de donner en une seule fois du travail comme avant le confinement, en disant « on verra après », renvoyant aux célèbres calendes grecques[1].

N’en déplaise à certains enseignants, on devine l’importance du rôle des chefs d’établissement, des professeurs principaux et des conseils de classe réunis en téléconférences. Elles sont à distance, le simple reflet des pratiques en présentiel, antérieures au confinement lequel n’est donc qu’un révélateur. Sur les réseaux sociaux, en particulier sur You Tube, des enseignants sont devenus des stars, régulièrement suivies par plusieurs centaines de milliers d’élèves. Pour la corporation, c’est inacceptable puisque tout enseignant doit valoir tout enseignant, alors que You Tube apporte une preuve tangible qu’il n’en est rien. Sur les réseaux sociaux, les palmarès ne vont pas tarder ! Sans doute n’est-il pas surprenant que les deux tiers des enseignants expriment un besoin d’accompagnement, notamment pour mieux communiquer avec les parents d’élèves. La continuité pédagogique est une épreuve difficile pour tous.

Le ministre assure que moins de 10% des élèves sont déjà perdus de vue. Seraient-ils des décrocheurs voués à le demeurer ? Ce chiffre qui peut sembler faible, sans doute sous-estimé pensent des cadres locaux, représente plus de 1 million d’élèves, il n’est donc pas négligeable. Et chacun devine qu’il diffère non seulement d’une académie à une autre, mais aussi entre deux établissements voisins au sein d’un même territoire ; pour certains collèges et LEP il dépasserait 30% des élèves alors que dans d’autres aucun n’est perdu de vue. Des données sur les élèves décrocheurs et sur les enseignants réellement engagés, établissement par établissement, seraient donc éclairantes. À qui fait peur cette question taboue ?

Certains syndicats, les « statuquologues »,  ont eu tort de dire que le soutien scolaire ne peut pas se faire à distance. Ce propos irresponsable ouvre encore plus les portes aux officines privées qui s’en repaissent et elles se font un plaisir d’assurer le service (moyennant finance, bien sûr !). Elles n’avaient pas besoin d’être ainsi aidées ! Dire qu’il faut se contenter de « consolidation » revient à assimiler ce temps d’enseignement à distance (qui va peut-être durer jusqu’à l’été) à ce qui se fait ordinairement pendant les vacances scolaires. C’est donc très malvenu. Par ailleurs, même s’ils en auraient cruellement besoin, les personnels de santé ne mettent pas en avant leur « besoin de pause ». Ils font preuve d’altruisme et d’une grande dignité collective. À leurs yeux, passe avant tout la santé des patients. Les syndicats enseignants ont obtenu du ministre qu’il préserve leurs vacances ; les zones ne sont même par supprimées pour cette période. Le corporatisme écrase l’éthique ! Cela rejoint plusieurs des questions taboues que je développe dans mon dernier livre[2].

On entend dire que beaucoup d’élèves « sont déjà largués en temps normal et que c’est pire à distance ». L’enseignement à distance génère des inégalités, c’est vrai, mais la classe n’en génère-t-elle pas elle aussi comme le montrent les recherches depuis 30 ans ? Faut-il faire des élèves en grande difficulté la seule norme de référence pour tout le système ? Au nom de quoi ? Certes, des élèves de 19 ans échouent le Bac pour la deuxième fois, mais est-ce une raison pour aligner l’enseignement sur les 25% les plus faibles et repérés par les enquêtes ? Il vaudrait mieux aborder pour eux ce problème de façon spécifique, adaptée et efficace. « Surtout ne rien faire à distance afin de garantir l’égalité » demandent les statuquologues. Quelle idée du métier d’enseignant ont-ils ? Quelle éthique ? Quelle image de l’école donnent-ils ? Pas de quoi soulever les applaudissements !

À la recherche de chainons manquants, dans son style habituel[3], le ministre voudrait compenser les faiblesses du système par divers dispositifs comme il les aime : « Nation apprenante » (pour la culture, la musique…), « vacances apprenantes », « ministère apprenant » (visant l’accompagnement des enseignants), « vacances studieuses » et « colonies de vacances éducatives », initiatives qui visent surtout à parler aux parents. Le ministère a lancé un appel aux enseignants volontaires qui seront rémunérés (ce n’est donc pas du bénévolat contrairement à ce qu’écrivent certains) pour que 20 à 30% des enseignants apportent leur appui aux élèves pendant les vacances de printemps déjà commencées pour certains. Nous verrons ce que cela donnera mais je doute que l’effet obtenu en soit facilement mesurable.

Notons enfin, ce qui est rarement relevé, que les instances collégiales, les différents conseils, se font par recours à la visio, sous forme de réunions dématérialisées qui marchent plutôt bien dans la majorité des cas. La vie continue donc.


Note de l'auteur

[1] On m’a montré des exemples édifiants !

[2] Propos iconoclastes sur le système éducatif français (2019), collection Au fil du Débat, Paris, Berger-Levrault.

[3] J’ai consacré à Jean-Michel Blanquer les trois derniers chapitres de mon livre Opus cit.

L’enseignement à distance, vecteur de liens et de partage

De façon paradoxale, on peut dire que le travail à distance a rapproché les élèves et les parents des professeurs, CPE et surveillants, même si les marges de progrès possibles sont considérables. Cette situation oblige les uns et les autres à mieux se comprendre. Elle a aussi rapproché quelques professeurs entre eux, puisque l’enseignement à distance nécessite un minimum de coordination. Elle a contribué à d’autres rapprochements ; par exemple, les ENT et leurs problèmes ont contraint l’État et les collectivités locales à plus de concertation.

Les enseignants se sont donc rapprochés de leurs élèves. Ils n’avaient jamais eu d’occasion aussi massive de les voir travailler individuellement. Ils peuvent ainsi discerner l’origine de leurs difficultés masquées par la classe et constater la grande diversité qui existe entre eux, dissimulée par les mêmes exercices donnés à tous et souvent corrigés pour mettre une note. Là, il s’agit de comprendre comment chacun apprend, sur quoi il achoppe, pour l’aider à dépasser ses difficultés et faire un accompagnement ad hoc. Ensuite, avant le confinement, le suivi de l’apprentissage était du ressort des familles (quand elles le peuvent), des tiers-lieux, souvent des associations et surtout des officines privées. Cela change donc. Enfin, attention à la communication : l’annonce faite que 80% des enseignants travaillent plus qu’avant peut s’entendre de deux façons !

Professeurs, CPE et les précieux assistants divers se sont aussi rapprochés des parents. Un peu, mais pas assez. L’école vient de mettre un pied dans les maisons ; la réciproque devra venir. En principe, les contacts durant cette période diffèrent de ceux qui se pratiquaient jusque-là puisque la pédagogie montre le bout de son nez. C’est donc une révolution, malgré la consigne d’un syndicat de ne rien aborder de nouveau avec les élèves (quelle honte !) pour bien tenir les parents à distance du registre pédagogique. La communication entre enseignants et parents (la vraie, pas celle, sans intérêt, des jeux de rôles au sein des ennuyeuses instances formelles) doit s’installer et enfin aborder des questions didactiques. Pour communiquer il faut être deux ayant l’intention de le faire et la confiance sera longue à établir. On assiste donc à une modification du rôle des enseignants qui devra aller de pair avec une attitude nouvelle des parents d’élèves. On comprend pourquoi les syndicats non réformistes sont vent debout. Rien ne vaut mieux que le statu quo ! Réfléchir dès à présent à la suite, vous n’y pensez pas ? Tout reviendra comme avant, il suffit d’attendre la rentrée scolaire de septembre !

Bref, partant de très loin, l’institution-École s’est rapprochée du terrain, il est vrai plus ou moins suivant les lieux et les établissements ; elle est moins éloignée de la société et plus territorialisée. Elle progresse dans ses savoir-faire collectifs. Enfin, les parents comprennent mieux ce qu’est l’école formelle et surtout ce que sont les rôles, très peu articulés jusque-là, des uns et des autres.

Préparer de façon durable la sortie de crise et la prochaine rentrée scolaire

Les semaines qui viennent ne seront pas les plus faciles ; elles devront être consacrées à assurer le quotidien, éviter les phénomènes d’usure, chez les élèves, les parents, les professeurs et CPE, préparer ce qui ne l’a pas été avant et dégager des pistes pour commencer à construire l’école d’après la crise, en ayant en tête le très court terme, la rentrée de septembre, et surtout le moyen terme avec l’évolution des rôles des uns et des autres.

Sans exclure que la pandémie puisse faire un rapide retour comme le craint le corps médical et comme cela vient de se produire en Chine. Les épidémiologistes disent que les épidémies ont des répliques, à la manière des tremblements de terre. Pour la grippe habituelle et la gastro, elles ne sont pas perçues du grand public, mais pour le Covid 19, si cela advient, ce sera immédiatement repéré par les grands communicateurs qui raffolent de ces périodes pour envahir les écrans. De plus, on sait déjà que la sortie du confinement ne se fera pas simultanément pour tout le monde, probablement par régions (n’oublions pas que l’épidémie s’est progressivement développée du nord-est vers le sud-ouest dans l’Hexagone). Symétriquement, cela se fera par étapes, selon divers paramètres encore à préciser et, peut-être par types d’activités. Une fin générale et uniforme est donc exclue, sauf pour les vacances scolaires ! Sans oublier que certains experts commencent à dire que la pandémie étant mondiale, avec les inévitables répliques, sa fin pourrait n’arriver que d’ici deux ans ! Espérons qu’il n’en sera rien.

 Le problème le plus sensible pour cette année scolaire est celui des examens, des concours de recrutement et de la formation des futurs enseignants, véritable casse-tête : comment les former sur le terrain en présence d’élèves ? Pour les examens, à condition que les conditions sanitaires le permettent, le brevet et le Bac se passeront en contrôle continu avec, pour le Bac, une session de rattrapage en septembre. C’est une forme totalement inédite qui va permettre d’apprécier ce que l’on peut attendre du contrôle continu. Pour les CAP des précisions sont encore à venir. Observons que les parents avaient déjà compris depuis 2 ans que le rôle de Parcoursup transformait celui du Bac qui apparaît de plus en plus comme simple certificat d’études secondaires. Le Bac est paradoxalement nécessaire et très peu utile. D’autant plus que cette année, Parcoursup se déroule selon le calendrier prévu, à bas bruit, même à très bas bruit[1], comme toujours en France pour les réformes quand elles entrent dans leur troisième année, c’est un de nos grands classiques[2]. Quel rôle le Bac peut-il encore jouer ? Le coronas virus va-t-il le tuer ? Remarquons au moins un effet collatéral positif : l’impossible reconquête du mois de juin est réalisée. C’est au moins cela


Note de l'auteur

[1] 660 000 élèves de terminale ont confirmé au moins un vœux, soit un taux de 98%, en hausse de 2 points par rapport à l’an dernier.

[2] Si aujourd’hui s’annonçaient des menaces sur Parcoursup, par « effet statu quo », ceux qui l’avaient tant attaqué il y a trois ans en deviendrait les principaux défenseurs !

L’école après la crise sanitaire

Avec beaucoup d’emphase, Alain Lambert, l’un des pères de la LOLF voit dans la pandémie une occasion historique d’oser une révolution copernicienne. Rien de moins ! D’autres parlent de crash test. Une cinquantaine de parlementaires prennent des initiatives pour « préparer le jour d’après », même si Jacques Attali vient de dire que c’est digne d’un poisson d’avril. Pourtant, sans doute est-il urgent de le faire, même si ce jour d’après peut tarder à venir.

L’exceptionnel de cette année va-t-il devenir l’ordinaire de demain ? La réponse est complexe. Le réseau européen Eurydice vient de publier le premier document présentant la diversité des décisions de chaque État pour les questions éducatives, face à la pandémie. Pour la France, quoi qu’il en soit, l’avenir immédiat de l’École est à construire sans tarder, en particulier la préparation de la prochaine rentrée de septembre. La question semble se poser en termes d’alternative entre le simple retour au statu quo auquel beaucoup croient (comme si cela était possible) et un changement radical, complet et profond, non réalisable en quelques semaines. En fait, ce ne sera ni l’un ni l’autre. La réponse est plus nuancée ; la dynamique de changement qui est lancée autour de l’accompagnement des élèves, des enseignants et des parents va se poursuivre pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. Il faut donc consolider cela, tout en construisant la suite.

Le confinement a généré une individualisation sans précédent, de la part des élèves, des parents, des professeurs, des établissements. Il est faux de dire que l’école s’est arrêtée le 16 mars. C’est un incroyable manque de respect envers tous ceux qui œuvrent à distance avec talent, élèves, enseignants et parents. Au moment du retour en classe, il sera important que chaque élève puisse expliquer ce qu’il a vécu, les difficultés qu’il a rencontrées, la variété des outils qu’il a utilisés, les aides qu’il a reçues, les échanges auxquels il s’est livré et avec qui, ce qui lui semble positif et devrait être conservé. Pour la suite, il sera nécessaire de disposer de bilans des apprentissages individualisés des élèves comme il n’en a jamais été fait dans notre système éducatif, pour en particulier en tirer des conséquences sur la constitution des groupes et envisager des éléments contribuant au rattrapage des élèves les plus en difficulté, voire en très grande difficulté, sans brimer pour autant tous les autres, trois fois plus nombreux. Si elles sont reconduites à l’identique, l’hétérogénéité des classes va augmenter considérablement. Il sera difficile de revenir à quelque chose d’uniforme comme en rêvent naïvement certains statuquologues dont la FCPE qui en formulant cinq demandes au ministre précise son effrayante vue bureaucratique de l’école ! Sur le plan formel bien sûr, nos administrations sauraient satisfaire ces demandes et, je le crains, en rêvent peut-être ! En fait, le commun sera à refonder, c’est peut-être cela éduquer.

Le triomphe mondial de l’école inversée, en particulier de la Khan academy qui utilise abondamment YouTube et Facebook pour proposer, en langue française, 30 000 contenus dont 6000 vidéos pour les sciences et à laquelle participent 36 000 enseignants français, devrait nous faire réfléchir.

Ce qui semble incontournable et essentiel dans l’école à construire, c’est une pratique généralisée du suivi individualisé des élèves, en présentiel et à distance, avec la pratique d’une pédagogie de l’encouragement et de l’accompagnement. En veillant que la classe classe fasse aussi travailler plus individuellement les élèves et enfin que les parents soient parties prenantes dans ces évolutions. Et si la classe, évident lieu de socialisation, était aussi un obstacle aux apprentissages individuels ? Cette question iconoclaste mérite d’être posée. Depuis plus d’un siècle, les pédagogies alternatives, et l’école inversée aujourd’hui, tentent de s’en affranchir. Oui, n’en déplaise au SNES, autre grand statuquologue devant l’Éternel et fier de l’être, cela amorce une évolution salutaire du métier d’enseignant, socialement plus valorisante, allant vers une autre place dans la société.

Internet est un outil adapté aux pratiques sociales et professionnelles de ce premier quart de XXIe siècle. Pour l’école, il est utile aussi bien en présentiel que pour les différentes formes de travail à distance. Il est donc nécessaire de penser aux articulations entre ces deux registres, pour bien distinguer ce qui gagne à être fait d’une façon ou d’une autre, en synchrone ou en asynchrone (vaste question pédagogique !). Cela suppose (ce sera presque une première) que les parents soient informés par chaque enseignant des raisons qui étayent ses choix pédagogiques. Les médecins expliquent bien à leurs patients les fondements des traitements qu’ils leur prescrivent. Les États généraux du numérique éducatif qui viennent d’être annoncés à la rentrée pourront sans doute permettre une avancée sur ce sujet maltraité jusqu’à présent.

Un site québécois invite à « un effort nécessaire des enseignants pour faire des parents des alliés ». Je ne peux mieux dire. L’aide aux parents est une réelle et bénéfique nouveauté. Entrons-nous enfin dans l’ère de la pédagogie partagée ? De la saine communication entre parents et professeurs ? Je l’espère. Voilà de quoi revaloriser l’image du corps enseignant s’il devient un véritable interlocuteur des parents d’élèves qui souvent ont besoin de l’aide des professionnels pour mieux savoir accompagner leurs enfants. Bientôt, peut-être, ils les applaudiront le soir depuis leurs fenêtres !

Article du Recteur Alain Bouvier, professeur associé à l‘université de Sherbrooke

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