Mission laïque française

Un élève n’est pas qu’un enfant : quelles différences ?

La confusion entre l’enfant et l’élève est chose fréquente qui se poursuit mais il est vrai avec parfois davantage d’hésitation entre le parent et l’enseignant, voire l’école et la famille. L'auteur souhaite montrer le danger de ces rabattements qui occultent le cœur de l’école : les savoirs et la culture qui les traverse.

En entrant à l’École, l’enfant n’est plus seulement le fils de ses parents, il est un citoyen en construction que la société prend en charge pour lui faire s’approprier des contenus culturels.

Du reste le terme « École » de la République le dit bien : l’École est agence de la République, sinon son accoucheur. Qu’est-ce que cela oblige ? A prendre en compte deux réalités pour prévoir la nature de l’enseignement : l’épistémologie et l’ontologie des savoirs que l’élève découvrira. Et simultanément à éclairer la relation qui facilitera le rapport avec ces deux domaines.

L’épistémologie

C’est une réflexion critique sur les principes, les méthodes et les conclusions d’une science. Par le mot principe, on entend ce qui est premier (principe dérive de princeps) et ce qui est premier, ce sont les questions que l’homme pose au monde. Le géographe ne pose pas au monde les mêmes questions que l’historien (la géopolitique réunissant ces deux matières) et a fortiori que le physicien ou le biologiste.

On peut faire réfléchir les élèves en les confrontant à une série de questions et en leur demandant d’affilier ces questions aux disciplines qui leur sont enseignées. Ils auront ainsi à éclairer le sens qu’ils donnent aux matières enseignées.

Chaque discipline répond aux questions qu’elle pose, à ses principes, par une manière de procéder, par une méthode (hodos en grec signifie chemin) qui lui est propre. La méthode du géographe (l’enquête et l’observation au sens large) n’est pas celle de l’historien (qui travaille à partir de documents) ou du physicien (l’expérience et le calcul)…

Les conclusions sont constituées par les faits, les notions, les théories qui sont fréquemment enseignées, tant principes et méthodes sont peu explicitées à l’École. Peu d’enseignements s’appuient sur les conditions historiques d’émergence des notions et les élèves apprennent des contenus souvent en apesanteur méthodologique et en apesanteur de questionnement : comment l’héliocentrisme s’est substitué au géocentrisme ? quand et comment a-t-on découvert le phénomène de la digestion ? , l’attraction des astres à distance, la valeur de pi ou convenu de l’accord du complément d’objet direct employé avec l’auxiliaire avoir…

L’élève n’est pas qu’un enfant car il est confronté par l’École à une réalité qui lui est étrangère et avec laquelle il va lui falloir pactiser. L’élève est un enfant que l’école introduit dans un monde exotique qu’il lui faut apprivoiser et vis-à-vis duquel il aura à faire la preuve de sa maîtrise. Les notes, les classements, les orientations y pourvoiront. A confondre l’élève et l’enfant, on gomme la fonction de l’École qui n’est en aucun cas la même que la famille.

L’ontologie

A la question « pourquoi l’école ? », il est possible de répondre : la socialisation par l’éducation.

En ne privilégiant donc pas d’un côté la classe et les savoirs qui y sont dispensés et de l’autre côté la cour ou les activités périscolaires qui permettraient d’intérioriser les normes et les valeurs de la société à laquelle il appartient, construisant alors son identité sociale. La finalité de l’acquisition des savoirs est au delà des savoirs, elle est au service de la socialisation.

Cette dernière convention fait toute sa place à l’idée de culture comme finalité ultime de l’école. Socialiser par les savoirs conduit à placer les savoirs au service de la culture. Ainsi, la culture est davantage que la somme des savoirs et donc que la somme des disciplines. La culture que l’école vise à faire s’approprier aux élèves est constituée, à travers chaque discipline enseignée de la réponse à des questions de nature ontologique.

En arithmétique, avec le nombre, l’homme approche l’infini et l’incommensurable. L’infini, par l’infiniment grand car il n’y a pas de butée à la numération (les nombres peuvent aller jusqu’au ciel disent les jeunes enfants), et par l’infiniment petit car entre deux nombres décimaux qui se succèdent existe une infinité de décimaux.

L’incommensurable, car 22/7ème qui est π est bien un nombre mais incommensurable car il est constitué d’un infini de chiffres après la virgule. L’infini des mathématiques qui peut être rapporté au temps et à l’espace embraie sur l’infini théologique.

Pour le croyant, Dieu est considéré comme le marqueur de l’infini par ses deux attributs que sont l’éternité et l’immensité. Dieu ne pouvant être limité, c’est sa perfection même qui est infinie. De par son infinité, Dieu est d’ailleurs le terme ultime de la série infinie des faits contingents du monde, en tant que raison suffisante dernière. La numération est une occasion d’établir un pont avec des questions métaphysiques. Pour le non croyant, l’infini est tout autant présent dans l’infinité de questionnement lié à une vision matérialiste du hasard et de la nécessité à l’origine de l’homme.

Avec la géométrie, l’élève se confronte à la vision et à la compréhension d’objets réels ou idéalisés dans l’espace. La droite dont il est si difficile de définir la nature (un ensemble de points ?), est impossible à dessiner (elle est infinie et devrait donc déborder de la feuille sur laquelle on la trace), tout comme le cercle ou n’importe quelle figure géométrique ne sont que des idéaux pour la pensée. Jamais il ne sera possible de dessiner un cercle qui dans son idéalité désigne l’ensemble des points situés à égale distance d’un point fixe, le centre. La géométrie nous confronte à la question du réel, en montrant qu’il est inaccessible.

Avec les probabilités, auxquelles Pascal a largement contribué, il est possible de s’intéresser à la notion de hasard et aux statistiques. Expérience intéressante car on peut découvrir que l’indétermination qui paraît liée au hasard peut fréquemment être expliquée (sauf dans certaines situations où les déterminismes sont trop nombreux pour être cernés comme dans le loto). « Ce que nous appelons hasard n’est et ne peut être que la cause ignorée d’un effet connu. » écrivit Voltaire. Les probabilités nous confrontent au fortuit, à l’imprévisible parfois explicables.

En revenant sur les exemples précédents, on peut convenir que des interrogations métaphysiques aussi puissantes que celles d’infini, d’idéal de la pensée, de réel, de hasard et leurs corollaires, l’ordre, la comparaison, la mesure, l’espace, le temps sont sous-jacents à un enseignement des mathématiques dès l’école primaire. Alors, enseigner des mathématiques, c’est plus que chercher à calculer, à démêler des équations, à démontrer, que même résoudre des problèmes, c’est s’intéresser à ces questionnements qui viennent de la nuit des temps. Et lorsque la résolution de problèmes lui donne corps, c’est retrouver une démarche temporelle car existant de toujours et pour toujours. Il serait possible de poursuivre la même réflexion pour toutes les disciplines, ce que nous avons entrepris par ailleurs.

A négliger le savoir, comme cet inconnu que l’enfant dans le cadre de l’École avec lequel il lui faut se familiariser, d’une part on gomme le sens même de cette institution qui va être progressivement le lieu privilégié pour socialiser par les savoirs.

Certes, il existe une autre forme de socialisation : celle par les relations qui se découvrent à l’École à travers les relations avec les adultes et avec ses pairs. La vulgate en la matière implique de réfléchir à la question de l’autorité et à la posture à adopter pour faire autorité.

Il y a lieu en matière d’autorité de distinguer la potestas et l’autorictas. La potestas – qui donné la puissance, le pouvoir – est le pouvoir légal, accordé par la société à un enseignant : le pouvoir de prendre des décisions, d’exiger l’obéissance en recourant à la contrainte, le cas échéant. L’auctoritas – de acteur- s’origine dans la personne, son être, son rôle d’auteur qui est à l’origine de ses choix d’action, du prestige de la personne. Elle est l’art d’obtenir l’obéissance sans recours à la menace ou à la contrainte. Elle produit les effets de la force tout en étant le contraire même de la force.

Une approche rogérienne des déterminants de cette relation renverrait aux trois concepts que Carl Rogers a pointé comme déterminants la relation éducative : l’empathie, la considération positive et inconditionnelle., la congruence

Les déterminants la relation éducative

L’empathie est en quelque sorte la modalité des relations humaines dans l’intersubjectivité.

Ce que les autres sentent, nous le ressentons – bien qu’à notre façon, à travers notre singularité, nos expériences antérieures, notre histoire. C’est sentir en soi quelque chose de ce que sent un autre et c’est un fait, un donné constant de nos relations à autrui.

L’empathie et la sympathie ont des limites que notre subjectivité et nos défenses constituent. La sympathie est assez voisine de la compassion tandis que l’empathie est le retentissement en soi des sentiments et de l’affect d’un autre. « Être empathique consiste à percevoir le cadre de référence interne d’une autre personne avec exactitude et avec les composantes émotionnelles et les significations qui s’y attachent comme si l’on était l’autre personne, mais sans jamais perdre la condition comme si. Être empathique, c’est se sentir soi et en même temps sentir l’autre. »

En ce qui concerne la considération positive et inconditionnelle, la relation pédagogique ne peut s’établir dans l’indifférence, voire le dédain. Prendre en considération son élève, lui porter une certaine forme d’amitié que Carl Rogers nomme considération positive et inconditionnelle correspond à la tonalité affective de la relation pédagogique. L’adjectif « inconditionnelle » ne signifie pas qu’on acceptera tout de l’élève mais que cette considération lui est donnée, qui qu’il soit, et gardée, quoi qu’il fasse et quelque punition méritée qu’on lui donne : la dignité de la personne est ainsi préservée. Ce n’est pas laxisme mais vigilance altruiste qui permettra aux réprimandes d’être efficaces et préviendra toute escalade de la violence. Difficile équilibre certes et qui ne se confondra pas avec l’indulgence.

La congruence amène à être en accord avec soi-même. En classe, elle consiste pour un enseignant à savoir dire non, à affirmer ses principes, ses choix quand cela est nécessaire. L’élève n’est pas qu’un enfant, de même que l’enseignant n’est pas seulement un homme ou une femme. L’un et l’autre ont à tenir des rôles dans une institution qui les fait se rencontrer par le truchement d’un savoir.

L’école et en dernier ressort la société fait de l’enfant un élève découvreur de la culture qui lui est transmise, le conduisant à intégrer le sens de ce qui lui est dévoilé. La société fait parallèlement de l’homme ou de la femme enseignants des transmetteurs de cette culture. Une relation unit élève et enseignant.

Il faut en clarifier les caractéristiques, n’omettant pas les contraintes institutionnelles dont nous n’avons pas parlé (examens, notes voire classements, mérite exposé…). Mais, il ne faut pas oublier que cette dernière est au service d’une culture des savoirs. A oublier les savoirs, on oublie la fonction de l’école. On pense la classe comme la famille, l’enseignant comme le père, l’élève comme l’enfant.

N’oublions pas la complexité des personnes que nous sommes, que chacun reflète. Une personne à un spectacle sportif ne se comporte pas de la même manière qu’au travail ou en famille. Chacun de nous et aussi chaque enfant est dépendant du contexte dans lequel il agit, du rôle qu’il tient. La liberté qui nous définit comme Homme est à ce prix : celui de l’imprévisibilité des rôles que nous tenons que l’École cherche à canaliser au service d’une Culture (scientifique, littéraire, artistique, corporelle).

A ne pas placer les savoirs scolaires au cœur de l’École on occulte sa fonction même : la transmission des legs des sociétés qui nous ont précédé qui attestent de la marche à jamais terminée d’une humanité en chemin vers la compréhension de sa destinée.

Michel Develay, docteur en Didactique des disciplines et docteur ès Lettres et Sciences humaines

Notes de l'auteur

M.Develay, d’un programme de connaissances à un curriculum de compétences. Bruxelles.

De Boeck. 2015. E.Prairat. L’autorité éducative au risque de la modernité. Recherche et formation 2012.

C. Rogers. Approche centrée sur la personne. Pratique et recherche. 2009.

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