Mission laïque française

Histoire d’Ahmad Bey Daouk, l’un des premiers élèves de la Mission laïque française au Liban

Ahmad Daouk

Ce point du globe où le soleil apparaît chaque matin a vu naître Ahmad Daouk, une des grandes figures de l’histoire politique et diplomatique du pays et aussi un des premiers élèves de la Mission laïque française (Mlf) dans ce pays.

Les premières années d’Ahmad Bey Daouk

Né en 1892 d’une famille[1] de notables industriels sunnites, installée depuis le XVe siècle au Liban, Ahmad Daouk débute sa scolarité dans une école ottomane.

Puis, il intègre le premier collège créé en 1909 par Pierre Deschamps[2], l’un des fondateurs de la Mlf [3] avec lequel il entretient, durant un grand nombre d’années, une longue correspondance amicale. Fidèle à cet établissement dont la caractéristique était de scolariser des élèves de toutes confessions, Ahmad Daouk a gardé avec lui des liens très étroits, à tel point qu’il est devenu, en 1925, le président de l’amicale des anciens élèves.

Ce musulman illustre parfaitement la philosophie de la Mission laïque, ouverte sur toutes les communautés du Liban. Il est toujours présent lors de la pose de la première pierre du Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth en 1960, puis lors de l’inauguration  du nouvel établissement en 1961. Ses discours manifestent un véritable amour  pour la philosophie de la Mission laïque.

A la fin de ses études secondaires à Beyrouth, Ahmad Daouk, part en France où il poursuit avec succès de solides études d’ingénieur à l’Ecole des arts et métiers d’où il sort diplômé en 1914.


Notes de l'auteur

[1]Certaines notices biographiques le présentent comme descendant du Prophète et issu « d’une famille honorable bien connue dans le Moyen-Orient et qui ne cessa depuis des générations de fournir des figures éminentes dans la vie publique du Liban ». Source : M Johnson et Ragid al Solh.

[2] C’est par l’intermédiaire de son frère Omar, éminent personnage libanais lui aussi, que le jeune Ahmad fait la connaissance de Deschamps. Ahmad Daouk dressera un bilan positif des premières années du Mandat français : « […] Le Mandat, dont l’œuvre fut considérable à plus d’un point de vue, a développé notre capacité économique. Il nous a dotés, en 1926, d’une Constitution parlementaire établie sur de plus larges bases que précédemment. Le texte de cette Constitution, modifié et remanié, règle jusqu’à ce jour le fonctionnement des rouages politiques et administratifs de notre gouvernement. Nos relations avec la puissance mandataire furent, dans l’ensemble, plutôt cordiales […]. Le propos, on le voit, ressemble plus à celui d’un nationaliste modéré qui accepte dès 1920 de composer avec les institutions mandataires. Source : M Johnson et Ragid al Solh.

[3] C’est dans une capitale en pleine effervescence, cœur d’un puzzle territorial, ethnique et religieux, où se côtoient maronites et druzes, grecs orthodoxes et catholiques, sunnites et chiites, que la Mission décide d’installer un établissement scolaire nouveau en 1909. La Mission, qui n’entend pas s’implanter là où elle n’est pas attendue, annonce alors « nous construirons l’édifice à la fois par le toit et par ses fondations ». Au cours de ces 100 ans, la Mission laïque française, au Liban, a bâti des écoles, éduqué des milliers d’élèves vers le savoir et le libre jugement. Malgré les vicissitudes de l’histoire, malgré les outrages guerriers qui ont traversé ce siècle, nos lycées sont restés debout, à l’image de Beyrouth, cette cité qui, jamais vaincue, renaît chaque fois plus forte des offenses qu’elle subit. Depuis cent ans, la Mission laïque, au Liban et dans le monde, a ouvert ses portes à toutes les nationalités, à toutes les confessions pour former des femmes et des hommes d’honneur qui ont su, qui savent et qui sauront… Préface du livre du centenaire Grand Lycée Mlf au Liban.

Un parcours hors du commun

Quand Ahmad Daouk achève ses études, le Mont-Liban, administré depuis 1861 sous le régime de la Mutasarrifiya, est dirigé par un gouverneur ottoman chrétien. Cette administration subsistera jusqu’en 1915. Les régions côtières de Beyrouth et Tripoli ne font pas partie du Mont Liban mais connaissent un grand développement administratif et économique. Ainsi, le vilayet (province) de Beyrouth devient le principal pôle économique du Levant. Et quand, à la sortie de la Première guerre mondiale, sous le mandat français, le Mont Liban et les provinces de Beyrouth et Tripoli sont réunis pour former l’Etat du Grand Liban, Beyrouth est désignée, en 1920, comme capitale.

Si Ahmad Daouk n’a que trois ans en 1895 quand a été ouvert le chemin de fer, premier de la région, reliant Beyrouth à Damas, il en a vingt quatre ans quand sont signés, le 16 mai 1916, les accords  Sykes-Picot.

Le contexte historique le porte à s’engager dans la vie politique de son pays.

Dès lors, il occupe des fonctions administratives qui témoignent de la diversité de ses compétences[1]. Il devient ainsi ingénieur à la Société Générale des Sucreries et des Raffineries d’Egypte de 1915 à 1919, conseiller technique auprès de S.M. le Roi Hussein I au Hedjaz[2] dans les domaines hydrauliques et miniers de 1919 à 1920, expert auprès des tribunaux de 1920 à 1927, conseiller municipal de Beyrouth et d’Aley de 1926 à 1934,  puis plus tard de 1940 à 1941, et, dans le même temps, conseiller à l’administration des walis musulmans, administrateur de plusieurs banques et sociétés.

Sa participation aux congrès de Damas organisé par les nationalistes syriens en 1928 signe son premier engagement politique. Il mène de front ses occupations professionnelles et son engagement politico-économique dans la perspective de mettre sur pied un programme d’indépendance et de souveraineté nationale pour les pays arabes du Proche-Orient.

En novembre 1941, en raison de son rôle décisif dans l’indépendance du Liban, Ahmad Daouk est nommé Chef du Gouvernement (Président du Conseil des Ministres) par le Général Catroux. Ce dernier avait proclamé, au nom de la France libre l’indépendance du Liban le 8 juin 1941. En 1943, Ahmad Daouk devient Président du Congrès national en 1943.

Nommé en 1944 représentant du Liban en France (et en même temps représentant du Liban en Espagne), il est investi de la délicate mission d’entretenir d’étroites relations avec ce pays. En effet ces relations avaient été mises à mal par l’épisode de novembre 1943 qui avait vu l’arrestation de nombreux nationalistes libanais par les autorités françaises nommées par la France libre. Ces quatorze années d’exercice diplomatique sur le sol français ont été marquées par sa nomination comme ministre plénipotentiaire de 1944 à 1953 puis comme ambassadeur de 1953 à 1958.

La nomination d’Ahmad Bey Daouk, musulman sunnite, au prestigieux poste diplomatique de Paris n’est pas insignifiant. En effet, les personnalités d’obédience sunnite, longtemps hostiles au Grand Liban créé par la France, finissent, dans le cadre du Pacte national signé en 1943, par obtenir des responsabilités importantes dans l’administration. Cette évolution souligne, de fait, le caractère arabe du Liban.

Il participe à de nombreuses délégations libanaises auprès de l’ONU, de l’UNESCO et autres conférences internationales.

Il est nommé une deuxième fois Premier ministre du 14 mai au 1er août 1960, à la tête d’un gouvernement de transition chargé d’organiser les élections législatives. Choisi à la fois en raison de son appartenance à la communauté sunnite, de son expertise et de sa loyauté, Ahmad Bey Daouk a la délicate tâche d’ériger une nouvelle loi électorale comportant de grandes réformes structurelles, loi qui reste en vigueur jusqu’aux élections législatives de 2018.


Notes de l'auteur

4 Stéphane Malsagne, Docteur en histoire (Paris I) et enseignant à Sciences Po Paris. Dernier ouvrage : « Sous l’œil de la diplomatie française, le Liban de 1946 à 1990 ».

[2] région ouest de la péninsule arabique, comprenant notamment les provinces de Tabuk, Médine, La Mecque et Al Bahah, sa principale ville est Djeddah.

Ahmad Bey Daouk et son attachement à la France

Son parcours à l’école française, prolongé par ses échanges épistolaires avec Pierre Deschamps ainsi que sa fréquentation assidue des plus hautes personnalités politiques de la IIIe, IVe, Ve Républiques françaises pendant l’exercice de sa fonction diplomatique ont très certainement contribué à forger son attachement à la France.

L’éminent rôle qu’il a joué dans la création de la Chambre de commerce franco-libanaise en 1950 est un acte fondateur pour l’amitié franco-libanaise.

En 1955, il acquiert, sur ses propres deniers, l’actuelle ambassade du Liban située rue Copernic à Paris. Il ne cesse pendant ces quatorze années de veiller à maintenir des liens étroits entre la France et le Liban et ce, même au plus fort de la crise du canal de Suez en 1956 qui entraîne la rupture des liens entre la France et les pays arabes[1].


Note de l'auteur

[1] Source : L’Orient le Jour, 29/03/2019

Un parcours emblématique

La longévité, jusqu’à ce jour inégalée, du parcours diplomatique d’Ahmad Bey Daouk en France, fait de cette éminente figure libanaise un initiateur, un précurseur et un symbole de l’amitié franco-libanaise.

De l’analyse de son parcours politique, diplomatique et professionnel ressort une inclination très modérée pour les honneurs et le pouvoir au profit de l’efficacité et de l’efficience pour la construction du Liban moderne.

Figure emblématique de l’histoire du Liban, grand serviteur de l’Etat[1], Ahmad Bey Daouk a mérité des nombreuses distinctions honorifiques que lui ont décerné la France, la ville de Paris, le Portugal, l’Espagne, la Syrie, le Hedjaz, le Royaume uni et le Liban.

Ahmad Bey Daouk est décédé, à Beyrouth, le 24 août 1979[2].


Notes de l'auteur

[1] A la fin de sa mission politique, Ahmad Daouk écrit au président Alfred Naccache et lui dresse le bilan de ses quelques mois à la tête du gouvernement :

 « En acceptant l’offre que votre Excellence m’a faite en décembre dernier de constituer le premier Ministère du Liban devenu indépendant, je n’ai eu d’autre ambition, vous le savez bien, que de servir notre pays et de veiller dans la mesure de mes moyens, sur ses intérêts dans les circonstances tragiques que le monde traverse actuellement. » Source : M Johnson et Ragid al Solh.

Les archives proviennent de Issam et Andrée Daouk.


Andrée Daouk, ancienne élève, conseillère de la Mission laïque française depuis les années 80. Elle a épousé Issam, le fils d’Ahmad Daouk.

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